
Héro national de la démocratie.
Né en 1953 dans la commune actuelle de Nyabihanga de la province de Mwaro, Melchior Ndadaye, premier président issu des élections de 1993, a été assassiné à seulement trois mois à la tête du pays. 29 ans après son assassinat et plusieurs de ses collaborateurs qu’est ce que les Burundais doivent retenir de lui? Sa cause a-t-elle abouti? Certains de ses compagnons de lutte et membres de son parti politique d’origine nous en parlent.
Sous le thème principal: «29 ans après l’assassinat du président Melchior Ndadaye, y’a-t-il un espoir de meilleurs lendemains pour le peuple burundais?», Pierre Claver Nahimana, président du parti Sahwanya Frodebu, salue les efforts conjugués par la justice burundaise pour éclaircir l’assassinat du président Ndadaye et ses collaborateurs, tout en sollicitant une vitesse accrue et le rétablissement dans leurs droits, des ayants-droit des victimes. C’était lors d’une conférence de presse tenu, le mercredi 19 octobre 2022, en marge de la commémoration du 29ème anniversaire de l’Assassinat de Melchior Ndadaye, Héro national de la démocratie.
Le parti Sahwanya Frodebu salue le pas franchi par la justice burundaise
Selon le président du parti Sahwanya Frodebu, la commémoration de la mort du Héro national de la démocratie, est un moment propice pour se souvenir et méditer sur son héritage. M. Nahimana fait savoir que le parti Sahwanya Frodebu salue le pas franchi par la justice burundaise qui a déjà traduit devant les cours et tribunaux quelques grands ténors du coup d’Etat du 21 octobre 1993. Le parti sahwanya Frodebu sollicite le gouvernement du Burundi et tout l’appareil judiciaire à finaliser le processus, à poursuivre tous les putschistes partout où ils sont et organiser une indemnisation juste pour tous les ayants-droit des victimes du putsch ainsi que le parti Sahwanya Frodebu lésé.
D’après toujours M. Nahimana, pour que l’espoir d’un meilleur lendemain pour les Burundais soit effectif, la vérité est primordiale, et puis la réconciliation. Pour lui et le parti Sahwanya Frodebu, il est auguste d’accélérer le processus engagé par la CVR et l’étendre sur d’autres périodes ayant endeuillé le Burundi, comme les crises de 1988 et 1993. Cela s’inscrit dans le cadre de favoriser une réconciliation véritable et sincère constituant une plateforme nécessaire pour les programmes de développement du pays. Ainsi selon lui, la vérité permettra au burundais de connaitre s’il y a d’autres implications dans l’assassinat de Melchior Ndadaye et ses collaborateurs autres que les Burundais.
Melchior Ndadaye était contre l’impunité, la corruption et la gabegie
Selon Pierre Claver Nahimana la prise de pouvoir par force en 1993 a plongé le Burundi dans de graves difficultés socio-économiques qui sévissent dans le pays jusqu’à nos jours. Il a cité notamment l’accès à une éducation scolaire de qualité, accès aux soins de santé convenables pour les familles, la malnutrition ainsi que le chômage de la jeunesse aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural. Cependant, a-t-il ajouté, les réflexes d’exil économique dans des pays étrangers de nombreux citoyens burundais, surtout les jeunes à la recherche d’un lendemain meilleur sont une chaine des conséquences causées par les fossoyeurs de l’idéal démocratique du président Ndadaye. Selon lui, l’impunité chez les citoyens qui se considèrent intouchables, la corruption et la gabegie devenues endémiques, sont les defis majeurs sur le chemin de la démocratie et du développement au Burundi. Il s’agit de là, des pratiques que le président Melchior Ndadaye ne voulait pas entendre dans le pays.
M. Nahimana a relevé les conséquences qui se sont poursuivies après l’assassinat de Melchior Ndadaye, il a proposé aussi des solutions pour espérer un meilleur lendemain pour les Burundais. Pour M.Nahimana Ndadaye voulait la reconstruction socio-économique du pays, la reforme agraire, la réhabilitation de l’outil de production et la redynamisation agricole pour couper court avec l’agriculture de subsistance vers une agriculture de marché. Néanmoins, il a indiqué qu’à l’heure actuelle tous ces mécanismes restent à l’état embryonnaire et tardent à se manifester. A cela, il a ajouté le défi de la non maitrise de la démographie galopante par rapport a la production avant d’en proposer les solutions. Par rapport à toutes ses conséquences originaires de la crise de 1993, M, Nahimana a fait avoir que Melchior Ndadaye voulait un Burundi meilleur ou règne une bonne gouvernance politique et économique, en favorisant un Etat de droit et l’essor socio-économique de la nation. Il a ainsi appelé le gouvernement à soutenir ses valeurs, à soutenir le combat contre l’impunité, la gabegie et la corruption pour enfin affermir l’ordre dans le pays. M.Nahimana a aussi suggéré que le gouvernement suivre de près la question de morcellement de terres cultivables et décourage cette pratique qui n’aide en rien à la redynamisation de l’activité agricole.
Pierre Claver Nahimana a ainsi appelé la population burundaise à garder en mémoire l’héritage du président Melchior Ndadaye qui était un grand partisan de la paix et la sécurité, le travail, le partage et l’entraide mutuelle tout en l’invitant à faire pareil. Pour M. Nahimana, la mort de Ndadaye ne sera pas vaine si l’on s’identifie à lui en décourageant toute sorte de violence, en prônant la réconciliation nationale et en mettant en avant les valeurs qu’ils proposaient à la nation burundaise.
Se comporter en bon berger pour le peuple
Sylvestre Ntibantunganya, compagnon de lutte du président Melchior Ndadaye a quant à lui indiqué que le combat de Ndadaye n’a pas été vain bien qu’il y ait encore du pain sur la planche. Selon lui, la démocratie est une valeur qui est en perpétuelle amélioration d’où personne ne peut dire qu’il l’a totalement atteinte et il s’agit d’une valeur pour laquelle on ne peut cesser de s’engager. Il faut seulement savoir se lancer, savoir s’évaluer et savoir prendre à chaque moment les mesures qui s’imposent pour l’améliorer.
Pour M. Ntibantunganya, les principes fondamentaux d’accepter que le Burundi soit dirigé démocratiquement sont connus et acceptés par la grande majorité des Burundais. Cela étant, personne ne s’oppose au multipartisme au Burundi, à la liberté et la multiplicité des medias et à l’épanouissement de la société civile. Il reste de savoir comment on le fait et c’est a partir de là que les améliorations doivent avoir lieu. M. Ntibantunganya estime que la démocratie que Melchior Ndadaye prônait a été atteinte mais qu’il reste de savoir comment s’organiser en tant que nation et vivre cette démocratie de manière à aller dans un sens beaucoup plus dynamique.
Sylvestre Ntibantunganya a ainsi évoqué le comportement que doivent adopter les leaders politiques pour ne plus revivre les événements de 1993. Selon lui, accepter de passer par les élections pour accéder au pouvoir de manière à faire valoir la volonté du peuple et être un guide de ceux qui vous ont élu, est une étape pour faire régner la dynamique démocratique. Il faut savoir servir et se comporter en bon berger pour le peuple car la démocratie a des exigences pour tout un chacun.
Appliquer ce pourquoi il s’est battu
Pour ce qui est de la justice, seule la vérité peut aider à rétablir la vérité sur l’assassinat du président Ndadaye. Mais, la première justice à rendre au président Ndadaye, c’est d’appliquer ce à quoi il s’est battu jusqu’à perdre sa vie dans la dynamique des réalités du moment. La mort du président Ndadaye doit être poursuivie judiciairement mais aussi dans l’objectif de la réconciliation. Néanmoins, la CVR doit piocher dans l’affaire Ndadaye pour mettre au clair diverses responsabilités qui peuvent entourer son assassinat.
Quant à l’image et l’héritage à garder en mémoire de Ndadaye pour les leaders et tout Burundais comme modèle, M. Ntibantunganya fait savoir que Ndadaye aimait la démocratie, le travail et le partage. Il n’était pas caractérisé par la violence, ce qui faisait qu’il n’était pas l’homme qui forçait pour aboutir à ses objectifs. Ce que les burundais doivent retenir de Ndadaye est qu’il prenait des décisions qui répondaient aux exigences des Burundais c’est ainsi qu’il a choisi un Premier ministre d’une ethnie différente à la sienne mais aussi une femme pour la première fois au Burundi.
Pour Adrien Sibomana, ancien Premier ministre, Melchior Ndadaye était quelqu’un de très courageux, qui avait une analyse assez critique de la politique, de l’économie du pays. Il avait beaucoup de bonnes idées, c’était un homme d’Etat.
La guerre civile, conséquence de son assassinat
« Quand j’ai entendu les premiers coups de canons, je me suis dit ça y est, le pays vient de tomber dans une catastrophe. Assassiner les hommes politiques, couper la tête de l’Etat, c’est comme jeter le pays dans l’incertitude. On ne peut jamais savoir ce qui va se passer. J’ai été vraiment très affligé parce que n’importe quel analyste politique savait très bien que le pays pouvait tomber dans une guerre civile », a déploré M.Sibomana.
En parlant des assassinats politiques, il y a déjà eu au Burundi l’assassinat du Prince Louis Rwagasore, du Premier ministre Ngendandumwe. A toutes ces occasions, le pays aurait pu plonger dans une catastrophe. Mais, à l’époque, le pays avait un Roi qui s’y est bien pris, a su gérer la catastrophe qui pouvait s’abattre sur le pays. Les assassinats politiques sont toujours une probabilité pour un pays de sombrer dans le désordre, d’après toujours M.Sibomana.
Pour le Burundi, c’est encore plus grave car il s’agit d’un petit pays où tout le monde se connaît, les rancœurs peuvent être très rapidement ravivés. Ceux qui organisent les assassinats politiques n’aiment pas leur pays mais aussi, ils ne s’aiment pas eux-mêmes. La guerre civile qui a duré plus de dix ans était la conséquence de cet assassinat d’un homme d’Etat.
Apprendre à dialoguer, discuter
Pour M.Sibomana, les assassinats politiques ou les coups d’Etat sont des crimes d’intelligence dans le sens de fausser les pistes et souvent, on ne saura jamais le véritable commanditaire mais, il y a certainement quelqu’un d’interne, externe ou les deux à la fois qui sont impliqués. C’est cela qui fait que ce sont des dossiers extrêmement difficiles à étudier, assez complexes et qui prennent du temps. Des fois, certaines informations sont obtenues plusieurs décennies plus tard.
Adrien Sibomana a aussi fait savoir que la plupart des gens pensent souvent que la démocratie ce sont les élections. Ce n’est pas vrai. La démocratie est une attitude interne des populations qui comportent notamment la tolérance, c’est-à-dire accepter que l’autre existe, a des idées. C’est un idéal qu’on ne peut jamais atteindre.
« Nous continuons cet idéal mais, il faudrait peut-être améliorer certaines choses. Il faut que les gens apprennent à discuter, dialoguer. Ceux qui sont au pouvoir via les élections, doivent aussi tenir compte des autres, les aider à comprendre ce qui se passe, discuter avec eux parce qu’ils n’ont pas le monopole de la vérité. Ce sont des partenaires qui contribuent au développement, aux idées qui font vivre un pays. Pour cela, il faut accepter le dialogue avec tout le monde, la liberté d’expression, de partager les richesses du pays », a conclu Adrien Sibomana.
Yvette Irambona
Laurent Mpundunziza