Les organisations de la sous-région (CIRGL, CEA, etc.) devraient s’impliquer davantage et mettre en place des initiatives très concrètes en faveur de la stabilisation de cette région. Cela est ressorti de l’interview accordée, le mardi 3 janvier 2023, au journal Le Renouveau du Burundi par Déo Hakizimana, fondateur du Centre indépendant de recherches et d’initiatives pour le dialogue (Cirid). Il parle également de la contribution du Cirid dans la résolution des conflits via le dialogue.
Le Renouveau du Burundi (L.R) : Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs du journal Le Renouveau du Burundi ?
Le fondateur du Cirid, Déo Hakizimana (D.H) : Merci beaucoup de la question. Je suis Déo Hakizimana. D’abord j’ai été enseignant avant d’être journaliste au journal Le Renouveau en 1978. Je suis ensuite devenu acteur politique, diplomate, activiste de la société civile et commissaire à la CVR (Commission vérité et réconciliation) depuis décembre 2018 jusqu’en juin 2022. Aujourd’hui, j’ai repris la commande de l’organisation « Cirid » dont je suis fondateur, basé statutairement à Génève avec un bureau Afrique à Bujumbura.
L. R : Vous parlez effectivement de votre parcours, pourquoi avez-vous pensé à mettre en place un tel centre de dialogue?
D.H : C’est à la fois dû à mon expertise professionnelle et la vie que j’ai personnellement vécue en tant qu’enseignant, journaliste, homme politique. En 1988 en particulier où le Burundi a traversé des heures sombres à Ntega-Marangara au nord du pays, je suis parvenu à poser un geste qui a eu des résultats concrets. Je suis l’inspirateur de « la lettre ouverte » que nous avons adressée au président de la République de l’époque. Cette lettre avait comme objectif de demander l’arrêt des massacres qui se poursuivaient, d’exiger des solutions et d’aligner le Burundi sur le terrain du dialogue inclusif.
L. R : Quelle était votre motivation pour commencer à travailler au sein de ce Centre ?
D. H : Je suis né dans une famille qui m’a donné une éducation de trois points. J’ai grandi en apprenant qu’il faut travailler, aimer la vérité et j’ai aussi été éduqué à refuser que quelqu’un piétine sur mes droits universellement acceptables. Plus tard, j’ai vécu les horreurs de Ntega-Marangara où j’ai été victime d’une prison politique. Après ma prison, j’ai connu l’exil. Nous étions dans une mouvance où beaucoup de gens voulaient que beaucoup de choses changent au Burundi. J’ai participé à des réflexions qui tendaient à savoir comment faire pour que le Burundi connaisse un régime plus démocratique où la liberté est possible.
Après cette lettre ouverte, j’ai connu une seconde prison de 5 mois où j’ai connu la torture. Libéré, j’ai été forcé à m’exiler en Suisse où j’ai passé environ 30 ans. Arrivé là, j’ai été de nouveau revolté par l’ignorance que l’opinion publique internationale avait au sujet du Burundi. Et j’ai compris que l’une des meilleures façons de pouvoir informer cette opinion étrangère était de créer une association. C’est ainsi que j’ai créé le Comité de solidarité pour la paix au Burundi, avec le seul objectif de dire la réalité de ce qui se passe au Burundi.
Plus tard, le Burundi a plongé dans le noir encore une fois après les assassinats des présidents burundais Ndadaye et Ntaryamira. Mais, j’avais des éléments qui me permettaient à comprendre que le problème du Burundi devenait une préoccupation régionale au niveau de la CEPGL (Communauté économique des pays des Grands lacs), car il y avait partout des réfugiés burundais et rwandais. Dans ma posture de journaliste, je disais et écrivais que la crise commencée au Burundi en 1988 et celle du Rwanda en 1990 avec son point culminant en 1994 devaient s’étendre jusqu’à l’est de la RDC, si on ne faisait rien pour les arrêter. Je disais également qu’une fois la crise arrivée en RDC, elle durerait très longtemps, et qu’elle devenait une crise africaine, l’une des plus graves et plus difficiles à régler. C’est ce qui se passe maintenant.
Avec les crises qui étaient au Burundi et au Rwanda jusqu’en 1994, j’ai constaté que le Comité de solidarité pour la paix au Burundi n’était plus approprié. En tant qu’Africain, je suis alors devenu panafricain, très militant des droits de l’homme. C’est ainsi que ledit Comité a évolué pour devenir le Cirid grâce à l’expérience obtenue auprès des amis de différentes nationalités. Au départ, nous étions cinq Burundais mais plus tard nous sommes devenus une douzaine d’Africains.
L. R : Depuis la création du Cirid, quels sont les cas qui ont trouvé la réussite grâce à sa contribution ?
D. H : Merci de votre question. En 1996, le Cirid a organisé le premier séminaire international sur l’espace international comme Génève avec la participation d’une quarantaine de personnalités représentant les organisations politiques et l’armée. Ledit Cirid a regroupé à la fois les représentants de la rebellion qui était en voie de croissance et l’armée avec la contribution politique, diplomatique et financière de la Coopération suisse. Les conclusions ont dit que les Burundais ont l’intérêt à trouver les solutions autour d’une table de dialogue. Il fallait donc répandre ce message jusque partout où se réunissaient les Burundais.
L. R : Aujourd’hui, on parle du cas du conflit entre la RDC et le Rwanda, comment appréciez-vous le mécanisme mise en place par la sous région ? Est-ce qu’il répond au fond du conflit ?
D.H : Je vais d’abord commencer à tirer votre attention sur la connaissance d’un fait historique majeur. Le rôle du Burundi est puissant et s’est confirmé depuis 1994, c’est feu président burundais, Cyprien Ntaryamira qui pilotait cette action où il a lancé une dynamique visant la tenue de la conférence internationale des Nations-unies sur la région des Grands -lacs.
Cette conférence s’est tenue à Naïrobi au Kenya en 2004, je me réjouis d’avoir été, à ce moment là, membre du staff des conseillers de feu président Ntaryamira. Je lui ai suggéré l’idée disant que le problème du Burundi ne pouvait pas être dissocié de celui du Rwanda. Et pour viser des solutions, on ne pouvait que les avoir dans un cadre international où on parle du Burundi, du Rwanda ainsi que de la région des Grands lacs en même temps. Grâce à la confiance placée en moi par feu -président Ntaryamira, nous avons démarré les démarches et avons très difficilement pu parvenir à proposer qu’il y ait cette conférence internationale, car cela a dû prendre 10 ans.
Nous avons, par après, accompagné cette démarche même si le président Ntaryamira était déjà mort avant la tenue de cette conférence de Nairobi. Lors des préparatifs de ladite conférence, le Cirid a présidé la commission humanitaire des organisations de défense des droits de l’homme appartenant à l’ensemble de l’Afrique des Grands -lacs.
Le mécanisme de résolution des conflits installé dans la région des Grands lacs découle du mandat défini lors de la conférence de Nairobi qui a abouti à l’installation du secrétariat général de la Conférence internationale sur la région des Grands lacs (CIRGL). Cela n’est pas venu comme ça, nous y avons travaillé. Car, depuis l’époque de Cyprien Ntaryamira, nous disions qu’il faut que le Burundi soit un lieu où les Africains peuvent venir converger et discuter sur les questions de la paix. Les organisations de la sous-région devraient s’impliquer davantage et mettre en place des initiatives très concrètes en faveur de la stabilisation de cette région.
L. R : Le Burundi est maintenant à la tête de la CEA. Quelle initiative à faire proposeriez-vous au chef de l’Etat burundais dont on pourrait se réjouir des résultats au terme de son mandat annuel?
D.H : D’abord, c’est faire en sorte que les différentes personnalités et institutions pouvant être intéressées par cette dynamique doivent se mettre ensemble et se convenir sur une action commune à faire, Il faut que les gens entre autres, les diplomates, les opérateurs économiques et les médias, etc. se réunissent chaque catégorie dans son domaine d’intervention, pour abattre le travail qui profite tant au Burundi qu’à la communauté.
L. R : Je vous remercie beaucoup de nous avoir accordé l’interview !
D.H : C’est moi qui vous remercie !
Claude Hakizimana