Le Burundi célèbre le 5 février 2023, le trente-deuxième anniversaire de l’unité nationale. Une Charte adoptée à 91% par les Burundais par voie référendaire. D’après nos interlocuteurs, il y a eu un pas déjà franchi dans la sauvegarde de l’unité nationale, mais, elle mérite d’être évaluée au quotidien.
« Trente-deux ans après, les gens ont actuellement d’autres préoccupations comme leur pain quotidien, leurs familles et leur avenir. Nous traversons une autre phase au cours de laquelle les gens ne vont plus se quereller parce qu’après tout, les divisions ethniques étaient liées aussi aux intérêts économiques. Aujourd’hui, avec les nouvelles opportunités, il n’y a pas un jeune qui va se prévaloir de son ethnie pour avoir un poste dans l’administration publique ou privée. Cela a tendance à s’estomper », indique Adrien Sibomana, Vice-président de la Commission de la Charte de l’unité nationale de l’époque.
Rester toujours vigilant
L’unité des Burundais peut aussi être perturbée par d’autres facteurs ; il faut toujours rester vigilant. Il peut y avoir d’autres sources de division comme les partis politiques ou les classes sociales. Avec le courant de la démocratie, il y a quand-même eu un changement, et les gens restent malgré tout sensibles à l’unité du Burundi, et se sentent beaucoup plus Burundais qu’autre chose, a-t-il ajouté.
Pour M.Sibomana, la démocratie, si elle est bien appliquée, peut renforcer l’unité. En effet, les gens vont entrer en compétition sur base de ce qu’ils valent et peuvent faire pour le pays, sur des critères objectifs. « Aujourd’hui, je vois mal quelqu’un qui irait dire aux gens, voter pour moi car, je suis de votre ethnie. Je pense qu’il se ridiculiserait ».
Pour consolider l’unité nationale, il faut qu’il y ait la bonne gouvernance, c’est-à-dire l’équité et la justice sociale. Si les gens sentent qu’ils ont la même opportunité face à des emplois ou des avantages, ils n’auront aucune raison de se diviser, a-t-il précisé.
Avec les tueries de 1993, il y a eu défaillance
Quand il y a eu des tueries à Ntega et Marangara, le chef de l’Etat de l’époque a décidé de mettre en place cette question de l’unité nationale. Ladite question a été étudiée pendant longtemps et un rapport a été confectionné et c’est à ce moment que la commission a proposé une Charte de l’unité nationale. Le jour de son adoption était le 5 février 1991, cette date a été institutionnalisée comme la fête de l’unité nationale. « Il y a eu un vote référendaire, et cette Charte a été adoptée à 91%.
Les Burundais ont été soulagés et l’ont favorablement accueilli avec beaucoup d’enthousiasme ».
En 1993, il y a eu des tueries et même la guerre. La question qu’on peut se poser : « Et s’il n’y avait pas eu cette charte ? ». Peut-être que cela aurait été plus grave. Il y a eu défaillance mais globalement, les choses auraient pu être pires, s’est interrogé M.Sibomana.
Pour Adrien Sibomana, en analysant l’histoire du Burundi, avant l’indépendance, le colonisateur a trouvé un pays uni où les clans existaient. Mais, il avait la fameuse notion de diviser pour régner. Les colonisateurs l’ont appliquée au Burundi en faisant des cartes d’identité avec des ethnies qui étaient marquées même sur les diplômes des premiers enseignants de Gitega. A l’indépendance, ces divisions ont continué. Pour la première fois dans l’histoire du Burundi, il y a eu des tueries inter ethniques (1965, 1972, 1988).
Beaucoup de progrès chèrement acquis
Après l’adoption de la Charte de l’unité nationale, le Burundi a replongé dans des situations sombres qui ont endeuillé beaucoup de familles burundaises, toutes les ethnies confondues. Pour Jean de Dieu Mutabazi, président de l’ONPGH (Observatoire national pour la prévention et l’éradication du génocide, des crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité), la population burundaise croyait et faisait foi dans le contenu de la Charte de l’unité qu’elle avait votée massivement.
« Le leadership politico-militaire des années 1990 tirait son pouvoir des armes et n’était pas psychologiquement prêt à céder sa place à un pouvoir issu des urnes. Ce même leadership qui avait perdu les élections de juin 1993, et dont la plupart ont trempé dans l’assassinat du héros de la démocratie et ses proches collaborateurs, porte la lourde responsabilité d’avoir plongé le Burundi dans une guerre civile pendant 10 ans », a-t-il fait remarquer.
Toutefois, 32 ans après le vote de la Charte de l’unité nationale, M. Mutabazi reconnaît qu’il y a beaucoup de progrès chèrement acquis car, il a fallu la perte de beaucoup de temps, des vies humaines issues de toutes les ethnies (Hutu, Tutsi et Twa) ainsi que la destruction massive des infrastructures socio-économiques, etc.
« L’unité fait la force et rend fort, mais les divisions, quelque soit leur nature, affaiblissent. Là où il y a l’unité, règne la paix sociale, et là où il y a la paix et la cohésion sociale, le développement suit. En l’absence de l’unité nationale, ce sont les divisions et les guerres. Or, la guerre ne construit pas, elle détruit et anéantit », a-t-il souligné. D’après toujours M. Mutabazi, les Accords d’Arusha, signés 7 ans après la tragédie du 21 octobre 1993, et ceux de cessez-le-feu qui ont suivi en 2003 et 2006, ont remis le Burundi sur les rails de la démocratie et ressuscité la Charte de l’unité nationale.
Renforcer la cohésion sociale
Bien que la paix sociale règne sur toute l’étendue du territoire national, cela ne doit pas nous faire oublier que le renforcement de la cohésion sociale est un travail au quotidien ; on ne doit pas oublier qu’il y a des pêcheurs en eau trouble, tel qu’il s’est observé en 2015. « En 2015, je n’aurais jamais cru que des gens pouvaient être brûlés vifs pour leur appartenance ethnique ou que des scènes de barricades, de ville morte ou de coup d’état pouvaient réapparaître 22 ans après l’assassinat ignoble du président Ndadaye », s’est-il étonné.
Mutabazi a affirmé qu’il y a un lien entre la démocratie et la Charte de l’unité nationale en ce sens que toutes les deux comportent les mêmes valeurs dans un état de droit. Pour lui, la Charte de l’unité nationale recommande le respect des droits de l’Homme, la protection de la souveraineté ou de l’indépendance nationale, le rejet des divisions de toutes sortes, la mise en avant de l’unité nationale, la justice sociale, etc.
Selon Jean de Dieu Mutabazi, la Charte de l’unité nationale mérite d’être évaluée au quotidien car ce fut un texte auquel tous les Burundais s’étaient engagés à respecter pour pouvoir construire un Burundi paisible, stable et prospère.
Promouvoir la culture de dialogue entre les Burundais
Gabriel Banzawitonde, président du parti APDR (Alliance pour la paix-la démocratie et la reconciliation) déplore, quant à lui, le fait que le contenu de la Charte de l’unité nationale soit connu par une minorité de la population burundaise. Il fustige aussi ceux qui pourraient se déguiser derrière ce contenu pour continuer à diviser les Burundais pour leurs propres intérêts.
Banzawitonde affirme lui aussi le progrès déjà atteint en ce qui est de l’unité nationale, non seulement grâce à cette Charte mais plutôt grâce à « la culture burundaise qui est un berceau de l’unité entre les Burundais ». D’après lui, pour consolider cette unité et la démocratie déjà franchies, il faut que le peuple burundais reste toujours uni et serein et s’efforce à promouvoir la culture de dialogue entre eux pour un avenir harmonieux.
Sentiment de satisfaction pour le pas déjà franchi
Du côté du CNUNR (Conseil national pour l’unité nationale et la réconciliation), Seth Nkeshimana, Vice-président du CNUNR, a indiqué qu’il est satisfait de l’étape déjà franchie en ce qui concerne l’unité nationale. Pour cela, les Burundais commencent à comprendre l’importance de vivre ensemble, se comprendre mutuellement, et de se séparer des anciennes pratiques pour lesquelles chacun faisait sa lecture dans son ethnie, origine régionale. « Il est évident qu’il y a encore à faire, mais les Burundais commencent à se sentir complètement intégrés, et nous aimerions continuer dans ce sens et aller de l’avant ».
Le CNUNR est un Conseil qui a une histoire vieille de 30 ans. Avec la conjugaison des efforts de ses membres et l’appui de tout le monde, il va produire des résultats louables. « Avec l’organisation chaque année de la semaine dédiée à l’unité nationale, nous allons sensibiliser les différentes catégories de personnes sur l’unité nationale, socle du développement. Ainsi, nous focaliserons nos actions compte tenu de la volonté exprimée par la population », a souligné M. Nkeshimana.
Yvette Irambona
Claude Hakizimana