Le président de la CVR a fait savoir que les missions de la CVR sont définies par la loi de novembre 2018, une loi qui, dans l’article 6, précise les missions de la CVR de connaitre et de lister les personnes assassinées ou disparues pendant les différentes crises ainsi que les personnes qui ont protégé les autres pendant les différentes crises, celles qui ont demandé le pardon et celles qui l’ont déjà accordé. Dans le même article, la CVR doit aussi déterminer le rôle du colonisateur dans les tragédies que le Burundi a connues et a vécues et d’identifier, cartographier les fosses communes là où les Burundais et les burundaises auraient été tués et jetés. Comme il l’a fait savoir, on procède à excaver les restes humains à partir des fosses communes déjà vérifiées à travers l’étendue du pays, mais aussi concomitamment la commission écoute les témoins souvent composés des veuves, des orphelins, mais aussi toute autre personne qui a une information sur les atrocités que le Burundi a connues sur les violations massives des droits humains qui ont eu lieu dans les différentes crises.
Période du mandat et l’ampleur des crises
Parlant de la tâche de cette commission, M. Ndayicariye indique que cette dernière est immense pour deux raisons. D’abord le mandat de la CVR couvre la période de 1885 à 2008, au cours de laquelle la commission doit travailler sur la présence allemande et belge au Burundi, la période de l’indépendance, et toutes les crises qui ont suivi l’indépendance dont l’assassinat du prince Louis Rwagasore comme les violations des Droits de l’homme de 1965, 1969 et les crises politiques comme celles de 1971. Ensuite, la tâche est immense par rapport à l’ampleur des crises que le Burundi a connues notamment celle de 1972, les événements de Ntega Marangara de 1988 et la crise politique et sécuritaire du 21 octobre 1993 correspondant à l’assassinat du président Melchior Ndadaye et la guerre civile qui a suivi jusqu’en 2008, année qui marque la fin de la belligérance.
Plusieurs fosses communes déjà excavées et d’autres en cours
Pierre Claver Ndayicariye est revenu sur les réalisations de la CVR. Il a dit que grâce au renseignement communautaire, plusieurs fosses communes ont été excavées dans la commune Shombo de Karusi, en commune Giheta de la province de Gitega, dans les différentes communes de la province de Rumonge, de Makamba, et de Bururi. Actuellement la CVR est à Muyinga et à Kirundo. Pour lui, c’est une appréciation positive même si la tâche demeure immense. Comme il l’a indiqué, plus de six cent témoins ont été déjà auditionnés, et le grand nombre de témoins auditionnés sont les veuves, les orphelins, et principalement les anciens militaires et juges qui acceptent de témoigner ainsi que les anciens responsables de l’administration du territoire rencontrés à Bururi. «Certains d’eux ont accepté avoir commis les massacres mais sous les ordres de leurs chefs hiérarchiques.», a fait remarquer M. Ndayicariye.
Le centre de décision sous le gouvernement Micombero est à l’agenda de la CVR
Alors qu’actuellement, la CVR opère dans les provinces de Muyinga et Kirundo, M. Ndayicariye a dit que d’autres provinces sont dans l’agenda de la commission. Il s’agit principalement de la mairie de Bujumbura, l’ancienne capitale politique qui siégeait le centre de décision au niveau politique sous le gouvernement Micombero. En date du 29 avril 1972, tout le gouvernement a été limogé et, la même soirée, des arrestations et tueries ont commencé, non seulement à Bujumbura mais dans tout le pays. C’est à base de cet événement que M.Ndayicariye a tiré certaines questions sur lesquelles la CVR travaille. Si on arrêtait des gens sur base des listes préétablies, la question serait de savoir quand est-ce que ces listes ont été préparées et cela dans toutes les provinces du pays. Comme on a parlé d’une rébellion qui a tué des citoyens tutsi et hutu à Rumonge, à Nyanza lac et dans une partie de Vugizo, la question serait de savoir pourquoi dans d’autres provinces où on n’a pas parlé de rébellion on a arrêté et tué des innocents, comment les camions militaires et les camions réquisitionnés ont été préparés.
Les attentes de la population
Quant aux attentes de la population vis-à-vis des réalisations de la CVR, Pierre Ndayicariye a dit que la population cherche à connaitre la vérité sur ce qui s’est passé, comment les gens ont été arrêtés et conduits à la prison, au tribunal, au chef lieu de la commune et enfin vers les fosses communes. Selon M. Ndayicariye, c’est cette vérité qui doit libérer tous les Burundais et les familles des victimes mais aussi les familles des bourreaux et les bourreaux eux-même. C’est une verité libératrice qui permet à chacun de sortir du ghetto de la globalisation car, disait-il, tout le monde n’a pas tué et les enfants des bourreaux n’ont pas été consultés. «Je voudrais que les gens comprennent que la criminalisation et la victimisation communautaire n’existent pas. En droit pénal, est responsable seule la personne qui a tué, il s’agit d’une responsabilité individuelle.», a-t-il insisté.
Qu’en est de la réparation
Parlant de la réparation, le président de la CVR a fait savoir qu’il s’agit d’un grand débat. Pour les régions touchées par les massacres à l’étape de l’identification et de l’excavation des fosses communes pour savoir ce qui s’est passé. Cependant, il a confié que la réparation est une étape prévue dans la loi et sous forme diversifiée connue la réparation symbolique, matérielle, financière, etc. «Il faut que l’opinion sache que la première réparation est la découverte de la vérité de ces burundais qui viennent de passer 49 ans sans savoir où sont les leurs.», a-t-il ajouté. Selon M. Ndayicariye, lorsque le gouvernement construit des écoles, des hôpitaux, une route,… c’est une autre forme de réparation contre les disparités économique et sociales.
La CVR ne se substitue pas à la justice
Parlant de la place de la justice face aux planificateurs des massacres, M. Ndayicariye a dit que la CVR n’est pas un appareil judiciaire, comme cela est mentionné dans la loi qui la régit. Elle ne travaille que sur la vérité qui doit contribuer à l’édification de la réconciliation. Celui qui vient à la CVR ne vient pas parler à la justice. Néanmoins, toute personne touchée et qui le juge nécessaire, a le droit de recourir à la justice.
Le sort des restes humains excavés
Le président de la CVR nous a indiqué qu’après la découverte de la vérité, il faudra évoluer vers l’enterrement en dignité. Cependant, les débats en cours au niveau des institutions pourraient acheminer vers la mise en place des monuments de mémoire et de la réconciliation pour enseigner les générations présentes et futures ce qui s’est passé. Comme il l’a expliqué, les générations apprendront que la vie est sacrée, donc le respect aux droits humains. A partir de cette vérité, ils en tireront une leçon qui les conduira sur «le plus jamais ça».
Pardonner et se faire pardonner
«La démarche souhaitée par les familles des victimes est que les présumés auteurs viennent pour demander pardon.», a fait savoir Pierre Claver Ndayicariye. Comme il l’a expliqué, il est difficile de réconcilier les familles qui ont perdu les leurs aux auteurs qui n’osent pas se faire pardonner. Par ailleurs, a-t-il ajouté, demander pardon prend du temps et les personnes ne réagissent pas de la même façon. Il y a des présumés auteurs qui viennent spontanément, ceux qui prennent du temps allant de six mois, une année,… et même ceux qui n’assumeront jamais, car ils ont peur de la vérité longtemps cachée.
Au niveau de la CVR, Pierre Claver Ndayicariye espère qu’il aura les premiers pionniers qui vont demander pardon publiquement aux familles qui ont perdu les leurs à cause de leurs actes. Il a signalé que la CVR travaille aussi avec les acteurs de la réconciliation hors CVR notamment le diocèse de Ruyigi et la Miparec de l’église des amis. «Nous avons déjà reçu une liste de personnes qui ont déjà demandé le pardon et de personnes qui ont déjà accordé le pardon.», a-t-il conclu.
Fiacre Nimbona