Dans la suite des portraits des différentes personnalités du pays, le quotidien burundais d’information « Le Renouveau » vous propose celui de Gérard Ntahe. Nommé à divers postes de responsabilités depuis la prise de pouvoir du président Jean Baptiste Bagaza, il a contribué de manière significative et a été à l’étude du projet de révision de la loi sur la presse de 1992 qui allait être remplacée par celle de 1997. Cette dernière a apporté d’importantes innovations comme la protection des sources des journalistes et la création d’un fonds d’aide aux médias.
Le Renouveau (L.R) : Qui est Gérard Ntahe ?
Gérard Ntare (G.N) : Je suis né en 1951 dans la localité de Shanga, aujourd’hui appelé Mayuyu, en commune Mukike dans la province de Bujumbura. La localité de Shanga faisait jadis partie de la chefferie Imbo- Mugamba administrée par le chef Louis Barusasiyeko, premier burundais diplômé du Groupe scolaire d’Astrida. Si je le mentionne ici, c’est que je lui dois mon inscription à l’école primaire. Il donnait comme instruction à ses sous-chefs de faire inscrire à l’école, de gré ou de force, tous les enfants en âge de scolarité. Sans lui, ma vie aurait probablement pris une autre tournure.
L.R : Pourquoi le nom de Ntahe ?
G.N. : Ntahe est le nom de mon père. A ma naissance, il m’a donné un nom propre par lequel les gens de ma colline continuent de m’appeler. J’ai pris le nom de Ntahe à six ans quand il m’a fait inscrire à l’école primaire. Il était , en effet, de tradition dans certaines paroisses que tous les enfants prennent le nom de leurs pères lors de l’inscription à l’école primaire. Aujourd’hui, il est devenu un nom de famille, puisque certains de mes frères et sœurs et nos enfants le portent.
L.R : Le nom de Ntahe serait-il lié à l’institution d’Ubushingantahe ?
G.N. : Je n’en sais rien. Peut-être celui qui l’a donné à mon père souhaitait qu’il devienne plus tard un Mushingantahe accompli, ce qui a d’ailleurs été le cas. En 1952 par exemple, il a été élu membre du conseil consultatif de sa sous-chefferie, ce qui signifie qu’il jouissait d’une confiance certaine de son entourage.
L.R : Pouvez-vous nous parler brièvement de votre cursus?
G.N. : J’ai commencé par ce qu’on appellerait aujourd’hui une école maternelle. Pour ceux qui la fréquentaient, cela consistait à apprendre, assis à même le sol, l’alphabet imprimé sur un tissu blanc accroché à un arbre. J’ai ensuite commencé l’école primaire à Mayuyu, en 1957 puis à la mission de Jenda. J’ai été sélectionné par le recteur du Petit séminaire de Kanyosha, où je suis entré en 1963 pour y faire mes études secondaires. En 1969, j’ai quitté le Petit séminaire de Kanyosha pour aller terminer les humanités gréco-latines au Collège du saint Esprit.
J’ai intégré l’Université officielle de Bujumbura qui deviendra plus tard l’Université du Burundi. Je me suis fait inscrire à la faculté de Philosophie et lettres, section Histoire. A l’époque, l’Université officielle de Bujumbura n’avait pas de cycles complets sauf pour la faculté de droit qui était en train de s’organiser. Cela signifiait que ceux qui réussissaient la candidature allaient poursuivre leurs études dans les universités étrangères, c’est-à-dire belges, zaïroises ou suisses selon les facultés.
Personnellement, je suis allé faire ma licence à l’Université catholique de Louvain. Beaucoup plus tard, je complétais ma formation en obtenant une licence en droit en 2001, puis un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en Droit de l’Homme et résolution pacifique des conflits, en 2006. J’avais alors 55 ans.
L.R : Qu’en est-t-il de votre parcours professionnel ?
G.N. : J’ai terminé mes études à la chute du président Michel Micombero et à l’avènement du pouvoir de Jean Baptiste Bagaza en 1976, le tout jeune président car il n’avait que 30 ans. Le président Bagaza a procédé au remplacement systématique de tous les cadres qu’il a trouvés en place et dont la plupart d’entre eux n’avait pas de diplômes universitaires.
J’ai donc fait partie des jeunes cadres qu’il a nommés à divers postes de responsabilités. Je suis devenu directeur de la presse, un poste que j’ai occupé jusqu’en 1981 quand j’ai été nommé directeur de la toute nouvelle Ecole de journalisme. Je suis resté en poste jusqu’en 1989, quand je suis allé diriger le cabinet au ministère de l’Intérieur et de la sécurité publique. C’est quand j’occupais ce poste qu’a eu lieu l’adoption par référendum de la Charte de l’unité nationale et la promulgation de la Constitution de 1992. C’est dire que ce qui s’est passé par la suite, c’est-à-dire, la victoire du Frodebu et la défaite de l’Uprona était pour moi tout à fait prévisible.
Suite au remaniement ministériel intervenu en 1992, j’ai quitté le ministère de l’Intérieur et de la sécurité publique pour celui de l’Information où j’ai occupé le poste du conseiller du ministre. En réalité, suite aux troubles politiques qui ont suivi l’assassinat du président Melchior Ndadaye, j’ai servi sous des ministres qui se succédaient à un rythme tel que je ne parviens pas à me souvenir de certains d’entre eux.
En 2000, J’ai décidé de quitter la Fonction publique pour gérer ma propre carrière. Je suis entré au barreau de Bujumbura en même temps que je devenais consultant en communication.
L.R : De l’historien au consultant en communication, comment cela est-il arrivé ?
G.N. : Quand je dirigeais l’Ecole de journalisme, j’enseignais à mes étudiants l’histoire contemporaine. C’est en 1997 que le ministre de l’Information de l’époque, sachant que j’avais quelques connaissances en droit, m’a confié l’étude du projet de révision de la loi sur la presse de 1992, qui allait être remplacé par la loi de 1997. Depuis lors, je n’ai cessé de faire des recherches dans ce domaine. C’est ainsi que j’ai été consultant lors de l’étude qui allait déboucher sur la loi de la presse de 2003, qui a apporté des innovations importantes comme la protection des sources des journalistes et la création d’un fonds d’aide aux médias. Il en ira de même pour la loi de 2013 qui a consacré la dépénalisation des délits de presse, c’est- à- dire la substitution des amendes aux peines de servitudes pénales pour les journalistes.
La dépénalisation des délits de presse a été remise en question dans la loi du 13 mai 2015.
Comme je n’ai cessé de faire des recherches dans le domaine des médias, j’ai réalisé de nombreuses études et publiées quelques ouvrages qu’on peut consulter dans les bibliothèques du Burundi et même dans certaines bibliothèques de grandes renommées comme le Congress librairy.
J’ai été sollicité par la suite par certaines universités pour que j’enseigne dans certaines facultés le droit et les médias. C’est le cas de l’Université du Burundi, dans le tout nouveau département de journalisme et à l’Isco (Institut supérieur du commerce), dans la section de bibliothéconomie. J’enseigne également à l’université du Lac Tanganyika et je fais partie du pool des formateurs de la Maison de la presse.
L.R : En dépit de votre âge, apparemment vous n’avez pas encore pris votre retraite ?
G.N. : Comme je vous l’ai dit, j’ai pris ma retraite à la Fonction publique en 2001 mais je reste actif puisque je plaide pour certains dossiers en tant qu’avocat et j’enseigne ici et là. Pour le moment, je suis en train de rédiger un livre dont le titre est : « La législation de la presse face aux défis de la cybercriminalité ». Si je parviens à trouver des sponsors, l’ouvrage pourra sortir dans les mois qui viennent.
L.R :A voir votre emploi du temps apparemment chargé, est-ce que vous avez du temps pour les loisirs?
G.N. : Absolument. J’ai toujours été un grand lecteur et je le demeure. J’éprouve un réel plaisir à lire tout ce que je trouve : les journaux et les magazines, les romans classiques et les romans policiers, les bandes dessinées comme Tintin, Lucky Luke, Astérix, etc. Je suis également un grand mélomane, j’adore écouter de la musique aussi bien burundaise qu’étrangère.
L.R : Le monde évolue, les technologies de l’information aussi, qu’en dites-vous ?
G.N. : Les journalistes doivent s’adapter et suivre au jour le jour l’évolution de ces nouvelles technologies au risque d’être dépassés.
L.R : Quels conseils donnez-vous à l’endroit des jeunes journalistes et leursainés ?
G.N. : J’ai constaté chez certains étudiants en Journalisme un manque total de curiosité. Certains n’écoutent jamais les radios et ne lisent jamais un journal. Ils se contentent de prendre des notes pendant les cours pour réussir les examens. Or, la principale qualité d’un journaliste est la curiosité intellectuelle. Je leur conseillerais de s’instruire à tous les instancts en s’informant pour pouvoir informer les autres. La deuxième observation est la faiblesse du niveau de la langue particulièrement le français qui, qu’on le veuille ou pas, occupe une place importante dans l’administration et dans la communication au Burundi. Le seul moyen de pallier cette lacune est la lecture.
Moïse Nkurunziza