Le secteur des assurances connaît une certaine évolution marquée par des forces et des faiblesses. La création de l’Agence de régulation et de contrôle des assurances (Arca) et la révision du code des assurances du Burundi ont apporté des innovations. Les intervenants dans ce domaine proposent des pistes de solutions pour faire face aux défis.
Le marché burundais des assurances est essentiellement composé des compagnies et des intermédiaires d’assurances. Les sociétés d’assurances sont au nombre de 15 (la plus ancienne est la Socabu qui date de 1977 et la plus récente est serenity SA qui date de 2020) dont cinq nouvelles sociétés et 10 issues de 6 anciennes sociétés qui étaient en activité avant la promulgation du code des assurances en 2014 qui ont dû se conformer aux exigences du Code en séparant les activités Non vie des activités Vie.
Créée par décret n° 100/121 du 27 octobre 2001 et devenue opérationnelle depuis 2012, l’Arca est venue assurer la surveillance du marché des assurances et la promotion de l’industrie d’assurances du Burundi. Elle veille donc à la protection des intérêts des assurés et des bénéficiaires des contrats d’assurances, à la solidité financière des entreprises d’assurances et à leur capacité d’honorer leurs engagements. Au lendemain de son opérationnalisation, elle s’est lancée dans l’assainissement de l’industrie d’assurances, particulièrement par la mise en place des textes règlementaires modernes pour le contrôle et la régulation du secteur des assurances.
Le nouveau Code apporte des innovations
Dans la même optique de développement du secteur des assurances, des innovations ont été apportées par le code des assurances révisé du 17 juillet 2020. Entre autres innovations, le secrétaire général de l’Arca, Joseph Butore, explique que le code de 2020 apporte une grande amélioration plus particulièrement en matière d’indemnisation des victimes et de leurs ayants droits. Il y a eu aussi l’introduction de la micro-assurance pour que les populations aux faibles revenus aient accès à l’assurance, mais aussi l’introduction des entreprises d’assurances coopératives dites mutuelles. Il faudra noter que la micro-assurance dont l’avant-projet de loi est en cours d’analyse par les acteurs et les partenaires du secteur des assurances, inclut de dispositions concernant l’assurance agricole, ce qui va aider le monde rural et agricole à souscrire une assurance.
Le président de l’Association des assureurs du Burundi (Assur) et directeur général de la compagnie d’assurance Socar Vie, Augustin Sindayigaya, dit que la révision de ce code se fonde sur la correction de certaines erreurs de fonds et de forme ainsi que sur l’inconstitutionnalité de certains articles de l’ancien code. Le nouveau code réaffirme le principe de séparation des branches d’assurance Vie et non Vie et veut consacrer l’équilibre des intérêts de toutes les parties prenantes au contrat d’assurance, les bénéficiaires des contrats d’assurances automobiles, et particulièrement en précisant les bases de calcul des indemnités.
Une place importante dans l’économie burundaise
Le secteur des assurances a une place importante dans l’économie burundaise. Selon Joseph Butore, c’est un secteur financier car il créé des emplois et génère des revenus mais aussi paie les impôts et taxes. La part de l’assurance dans le produit intérieur brut (PIB) est non négligeable ; elle est mesurée par le taux de pénétration qui est le rapport entre le chiffre d’affaires réalisé par le secteur des assurances sur le PIB. Il s’agit donc de la part du PIB allouée à la consommation des produits d’assurances. Grâce à la croissance élevée du chiffre d’affaires du secteur des assurances observée pendant l’année 2019, le taux de pénétration est passé à 0,87% alors qu’il était à 0,77% en 2018, soit une augmentation de 10%. Le secteur des assurances joue aussi un rôle important dans l’économie nationale dans ce sens que les contrats d’assurances passés protègent la vie et les biens de la population actrice du développement.
Doubler le chiffre d’affaires
Le secteur des assurances s’est fixé l’objectif de doubler son chiffre d’affaires à l’horizon 2022. M. Butore fait savoir que l’objectif est d’atteindre 74,4 milliards de Fbu en 2022. Le chiffre d’affaires est passé de 36,9 milliards en 2015 à 54 milliards en 2019. Selon les statistiques provisoires, le chiffre d’affaires s’élève à 64 milliards à la fin de 2020, soit une augmentation annuelle moyenne de 5,4 milliards de FBu. Il trouve que si la tendance de croissance du chiffre d’affaires observée sur les cinq dernières années se maintient en 2021 et en 2022, l’objectif de doubler le chiffre d’affaires au 31 décembre 2022 est réalisable.
Des opportunités et des défis
Le marché burundais des assurances regorge d’opportunités malgré les défis. Jean Paul Roux, consultant international dans le domaine des assurances, précise que les opportunités de croissance s’observent dans le développement de l’assurance non automobile (Habitation, risques professionnels et industriels notamment) ; de l’assurance Vie (Prévoyance et épargne) et de l’assurance Santé. Les faiblesses qu’il constate sont liées à l’absence d’organisation par typologie de marché dans l’assurance, à un service marketing peu développé, à une gestion lourde et onéreuse, à une tarification quelquefois anarchique et peu approprié notamment en RC Auto et parfois à un manque de cohésion dans le partenariat public – privé.
M. Butore dit, quant à lui, que les opportunités se présentent car il y a des produits d’assurances qui ne sont pas encore commercialisés. Les faiblesses du secteur des assurances sont, selon lui, de différents ordres. Au niveau socioculturel, le secteur des assurances connait un manque de culture d’assurance par la grande masse de la population burundaise ; la mauvaise perception de l’assurance par les assurés caractérisée par leur manque de confiance envers les assureurs suite au non-respect des engagements par certains assureurs. Au niveau professionnel, la formation en matière des assurances est insuffisante pour les acteurs de l’industrie d’assurances du Burundi et un manque de politique claire et de planification pour la formation dans le management des assurances au sein des entreprises d’assurances. Il y a également un manque d’éducation-sensibilisation à l’assurance par les sociétés d’assurances et les assureurs se concurrencent sur les mêmes produits d’assurance et ne diversifient pas les risques assurés. Au niveau socio-économique, il y a un faible pouvoir d’achat de la population et une activité économique faible.
La communication reste encore peu développée
La communication sur les assurances reste encore peu développée. C’est d’ailleurs, selon toujours M. Butore, le constat après la campagne de sensibilisation de la population et des administratifs aux assurances que l’Arca a menée depuis le mois d’avril jusqu’au mois de juin 2021. C’est cette raison qui l’a poussée, en tant que régulateur, à prendre le devant à la place des assureurs, afin d’éclairer la population et les administratifs sur les produits d’assurance vendus sur le marché et l’intérêt de souscrire l’assurance, mais aussi de leur informer sur certaines dispositions qui parlent de l’obligation d’assurance. « Nous espérons qu’au terme de cette campagne, les choses vont changer du moment que les entreprises d’assurances ont promis de mettre en avant cette communication », dit-il en faisant remarquer que l’Arca va aussi continuer à exploiter différents canaux et formes de communication pour faire connaître son rôle et l’importance de l’assurance pour la population afin que l’industrie d’assurances prospère pour un développement économique durable.
Augustin Sindayigaya converge avec le secrétaire général de l’Arca sur le principal défi lié au manque de culture de l’assurance. Selon lui, les Burundais ne pensent pas aux risques qui peuvent arriver dans le futur pour prévenir leurs conséquences. Il y a également un manque de sensibilisation pour que la population sache la valeur ajoutée de l’assurance et les produits offerts par les assureurs.
Revoir les tarifs
Les autres défis sont liés à la non application des dispositions contraignantes par les pouvoirs publics en matière d’assurances obligatoires comme l’assurance des immeubles publics et des espaces commerciaux. Au niveau de l’assurance Vie, le grand défi reste l’harmonisation des lois et règlements qui régissent les gestionnaires des Fonds de pension complémentaire.
Il indique également que le nouveau code des assurances ne mentionne pas les mécanismes de la régularité de révision et d’adaptation des tarifs surtout au niveau de l’assurance « Responsabilité civile automobile », communément appelé « Contre tiers » qui n’ont pas changé depuis 10 ans en comparaison au coût des pièces de rechange ou aux honoraires de différents prestataires, notamment les garagistes et les experts automobiles. « Les tarifs automobiles actuels ne sont plus en mesure de permettre l’indemnisation correcte. Ces tarifs devraient être revus dans des proportions qui soient acceptables par toutes les parties », souligne-t-il.
Des retards dans l’indemnisation
Le secrétaire général de l’Association des transporteurs du Burundi (Atrabu), Charles Ntirampeba, fait savoir que les assureurs trainent dans l’indemnisation en cas de sinistre, le retard pouvant aller même jusqu’à 2 ans à cause de longues procédures. L’assuré est aussi tenu de se prendre en charge pour ce qui concerne les premiers soins médicaux. « Nous ne sommes pas traités comme leurs clients alors qu’ils devraient nous prendre comme partenaires ». Il trouve que les assureurs devraient améliorer la qualité de leurs services.
Pour ceux qui s’inquiètent du retard d’indemnisation, M. Sindayigaya indique que cela est observé surtout dans le secteur automobile. Il explique qu’un certain nombre de procédures et l’implication de plusieurs intervenants s’imposent pour être indemnisé. Des procédures d’ordre légal qui établissent la responsabilité doivent être suivies. Il propose plutôt la démarche de constats et règlements à l’amiable qui a été entreprise par certaines compagnies d’assurance au lieu d’aller jusqu’aux tribunaux. M. Sindayigaya souligne que la synergie de tous les intervenants s’avère nécessaire. Il cite les pouvoirs publics, les assureurs et les assurés.
Des pistes de solutions
Pour relever les défis du secteur des assurances, des pistes de solutions sont proposées. Pour Jean-Paul Roux, il s’agit notamment de la décentralisation des activités pour ouvrir la porte de l’assurance à une grande majorité de la population et ouvrir une grande voie à la professionnalisation. Un sondage d’opinion doit être mené par l’Arca et l’Assur pour répondre aux besoins de la population, mettre en place la cohésion entre acteurs publics et privés, rétablir les liens avec les clients, développer le marketing client, revoir et corriger la tarification en s’appuyant sur les statistiques par risque, sans oublier la présence sur le terrain des Agences d’assurance avec le statut d’Agent général
Il appelle les compagnies d’assurance à se réorganiser pour pouvoir être très présentes auprès de la population. « Il faut innover et répondre aux besoins de la population », indique-t-il. Il faut aussi mettre en place le système de micro-assurance et jouer la carte de la mutualisation des risques pour que la population la plus fragile bénéficie de couverture et de garanties dans leurs activités agricoles et petits commerces à un coût le plus bas possible.
M. Roux signale aussi la nécessité de former une nouvelle génération d’assureurs qui maitrisent à la fois au sein de ce métier complexe et technique, les fondamentaux de l’assurance, les techniques de l’assurance Vie et Non Vie au niveau production-sinistre, le domaine de l’évaluation des provisions techniques (car la bonne gestion des sinistres est fondamentale pour gagner la confiance des assurés), la réassurance et surtout le volet du marketing opérationnel pour fidéliser et conquérir le marché. Il trouve également que les chantiers sont nombreux pour doubler le chiffre d’affaires en 2023. Les efforts doivent être collectifs pour mieux protéger et sécuriser par l’assurance les Burundais et créer de nouveaux emplois, conclut Jean-Paul Roux.
Promouvoir la communication
Joseph Butore fait savoir que l’Arca compte promouvoir la communication au sein du secteur par l’exploitation des médias classiques et d’autres réseaux, car il semble que les médias ne s’intéressaient pas avant aux questions concernant les assurances comme cela l’est pour d’autres secteurs. Cela se fera pour informer et éduquer la population sur les opportunités qu’offre le secteur et bien d’autres, afin que le secteur burundais des assurances devienne de plus en plus dynamique. Il demande, en outre, aux acteurs du secteur des assurances d’investir dans le perfectionnement de leurs cadres et agents par des échanges d’expériences, des visites d’études, comme par ailleurs, l’Arca l’a fait depuis son opérationnalisation au profit de ses cadres contrôleurs d’assurances.
Il invite les assureurs à éviter la malhonnêteté car c’est le premier ennemi enregistré du secteur. Il faut qu’ils respectent les engagements pris envers leurs assurés, ce qui va rétablir la confiance entre eux. Il faut aussi qu’ils sortent de leurs bureaux pour aller à la rencontre des clients et qu’ils commercialisent vite les assurances rendues obligatoires par la nouvelle loi sur les assurances. Enfin, il faut qu’ils produisent les états financiers non biaisés et qu’ils renforcent leur gouvernance afin d’éviter des crises sociales internes qui peuvent conduire à la faillite et menacer les intérêts des assurés mais aussi entraver le développement de l’industrie d’assurances, et de ce fait, empêcher le développement économique du pays.
Propos recueillis par
Eric Mbazumutima