Le président de la République a promulgué en date du 16 janvier 2024 une loi portant Code d’éthique et de déontologie des prestataires de soins de santé au Burundi. Cette loi était longtemps et impatiemment attendue. Les organisations de la société civile engagées dans la défense des droits des malades, la Memisa [Une organisation non gouvernementale de droit belge qui a appuyé tout le processus d’élaboration de ce document important pour le système de santé burundais, NDLR] ainsi que certains patients éprouvent un sentiment de satisfaction et de soulagement. Ce code rappelle les droits et devoirs des prestataires de soins, des patients et prévoit des sanctions diverses. Dr Edouard Nkurunziza, coordinateur de l’action de Memisa- Belgique au Burundi, ainsi que le représentant légal de l’Association burundaise pour la défense des droits des malades plaident pour que cet outil soit traduit rapidement en Kirundi (langue nationale), pour que son contenu soit bien compris par la majorité de la population burundaise qui en est bénéficiaire. Pour eux, ce Code vient soutenir le malade et aussi protéger la profession de la santé.
Le représentant légal de l’Association burundaise pour la défense des droits des malades « ABDDM- Ubuzima ni katihabwa », Pierre Nindereye ne cache pas sa joie. « Avant toute déclaration, nous voudrions remercier le président de la république du Burundi, Evariste Ndayishimiye et son gouvernement qui ont analysé à fond ce code et en ont jugé la pertinence pour passer à sa promulgation. Au sein de l’ABDDM, nous nous réjouissons avec satisfaction de cette reconnaissance de l’importance du Code dans l’organisation des services de soins de santé au Burundi ».
Et d’ajouter « enfin que le code de déontologie des prestataires de soins est promulgué, l’ABDDM comme une organisation luttant pour la défense des droits des malades éprouve un sentiment de satisfaction et soulagement. Cela signifie une reconnaissance officielle et un engagement à protéger les droits des patients, leur assurant des soins de qualité et un traitement respectueux. C’est une victoire pour l’organisation, montrant que ses efforts et plaidoyers ont abouti à un changement concret et positif pour les patients et leur accès aux soins de santé de qualité ».
Même son de cloche de la part d’Edouard Nkurunziza, coordinateur de l’Action de Memisa Belgique au Burundi. M. Nkurunziza félicite le gouvernement burundais d’avoir doté le pays et son système de santé de ce Code qui est un outil important de régulation du secteur des soins de santé, un secteur important dans le développement du Burundi et dans l’atteinte de la Vision 2040-2060 du pays. « La promulgation de ce code est l’aboutissement d’une collaboration et d’une compréhension mutuelle entre le gouvernement, à travers le ministère de la Santé publique et de la lutte contre le sida et les organisations de la société civile engagées dans la promotion, la protection et la défense des droits des patients, particulièrement l’ABDDM (Association burundaise de défense des droits des malades) », reconnaît ce coordinateur de Memisa dont la vision est d’améliorer la qualité des services de soins.
Un code qui va apporter plusieurs valeurs ajoutées importantes
Pour le représentant de l’ABDDM-Ubuzima ni katihabwa, le code d’éthique et de déontologie des prestataires de soins et services de santé pourrait apporter plusieurs valeurs ajoutées importantes. Tout d’abord, il peut garantir un niveau élevé d’éthique et de professionnalisme dans la prestation des soins de santé, ce qui est essentiel pour maintenir la confiance des patients et assurer des soins de qualité. En outre, un tel code peut promouvoir la transparence, la responsabilité et la justice dans le secteur de la santé, ce qui est crucial pour assurer l’équité d’accès aux soins et pour protéger les droits des patients. Enfin, un code d’éthique et de déontologie pourra également contribuer à la prévention des abus, des conflits d’intérêts et des comportements non éthiques, ce qui est essentiel pour garantir la sécurité et le bien-être des patients. Ce code vient également protéger la profession de guérir au Burundi, permettre aux professionnels de santé d’exercer leurs droits et leurs devoirs tout en respectant les principes et règlements de l’art, de la science et de la probité. Le droit des malades et de leurs familles sont également protégés.
Un rôle crucial dans le respect des droits des patients
Comme l’affirme Pierre Nindereye, ce code joue un rôle crucial dans le respect des droits des patients et dans la sensibilisation de la population à leurs droits. D’abord, en établissant clairement les normes éthiques et professionnelles auxquelles les prestataires de soins doivent adhérer, le Code d’éthique et de déontologie garantit un traitement juste et équitable pour tous les patients. Cela inclut le respect de la confidentialité, le consentement libre et éclaire, le droit à l’information et à la prise de décisions concernant leur santé, etc.
Ensuite, en rendant ce code d’éthique et de déontologie accessible au public et en le promouvant activement, les Burundais seront mieux informés de leurs droits en tant que patients. Cela contribue à renforcer l’autonomie des patients et à encourager une relation de soins plus équilibrée et respectueuse.
En fin de compte, un tel code de déontologie aiderait à établir des normes élevées de professionnalisme et de soins de santé éthiques au Burundi, favorisant ainsi des pratiques respectueuses des droits des patients et une meilleure communication entre les prestataires de soins et les bénéficiaires des soins et services de santé.
Ce code vient renforcer l’éducation de la population burundaise sur les droits des patients contenus dans le répertoire des droits des malades au Burundi, qui est un autre document que le ministère de la Santé publique et de la lutte contre le Sida a élaboré avec la collaboration des autres acteurs dont l’ABDDM avec l’appui des partenaires au développement.
Raviver l’espoir pour la population
Yvette Iramfashije, 28 ans et mère de deux enfants dit que le Code de déontologie et d’étique vient à point nommé. Elle estime qu’il est porteur d’un changement à voir la façon dont certains prestataires de soins se comportent. « Chaque jour, je me sens fortement bouleversée par la mortinaissance [Le décès d’un bébé après 28 semaines de grossesse, mais avant ou au cours de l’accouchement, est considéré comme une mortinaissance, NDLR] de mon fils ainé due aux manquements graves d’une infirmière. Si ce code existait, peut-être que les moments cauchemardesques que j’ai endurés n’allaient pas se produire », confie Mme Iramfashije. Elle garde un souvenir malheureux de la situation qu’elle a vécue à la maternité de l’un des centres de santé de la commune Kanyosha dans la province de Bujumbura.
Quand je suis arrivée au dispensaire, raconte Mme Iramfashije, j’ai été bien accueillie par un infirmier, un homme de bon cœur. Ce dernier m’a révélé qu’il n’y avait aucun problème et que j’allais accoucher par voie normale pendant les heures avancées de la nuit. « C’était aux environs de 16 heures », se souvient-elle
La situation a pris une autre tournure quand l’infirmier a été remplacé par une infirmière qui assurait la garde. « A la maternité, cette infirmière m’a fortement tabassée. Au lieu de m’aider, elle m’a lancé des injures de toutes sortes. Mon premier né est mort dans ces circonstances difficilement acceptables ».
A côté de ces manquements professionnels, Mme Iramfashije dit que cette infirmière a commis d’autres forfaits. Au moment de recoudre, j’ai failli contracter la fistule obstétricale car elle a rattaché les organes génitaux au rectum. Je suis rentrée à la maison, après un jour il m’était impossible de m’asseoir. J’ai dû retourner à l’hôpital pour des soins. Imaginez les douleurs que j’ai ressenties avec la blessure au cœur d’avoir perdu mon enfant. Malheureusement, faute de manque d’une base légale, cette infirmière n’a reçu qu’une mutation disciplinaire », regrette Mme Iramfashije.
Comprendre les obligations, les droits des malades et des prestataires de soins
Comme l’indique M. Nindereye, les principaux droits des malades comprennent le droit à l’information, le droit au consentement libre et éclairé, le droit à la confidentialité, le droit à la prise de décisions sur leur santé, le droit aux soins de santé intégrés, globaux et continus, le droit à la protection des biens des malades si son autonomie est compromise, le droit de donner des directives anticipées et le droit au respect et à la dignité humaine sous toutes ses formes. Ces droits sont essentiels pour garantir le respect et la dignité des patients dans le système de santé».
Quant à Dr Nkurunziza, il regrette effectivement le fait que la plupart des Burundais, même des prestataires ne savent pas que les malades ont des droits et de quels droits il s’agit. « Sachez aussi que les malades ont également des devoirs », fait -il remarquer . Les prestataires ont aussi des droits et des devoirs. Ce code vient protéger les droits et devoirs des patients et aussi ceux des prestataires. Il nous semble impératif que les prestataires et les malades (la population en général) connaissent ces droits et devoirs.
Il se réjouit néanmoins que l’ONG Memisa ait appuyé l’élaboration d’un répertoire des droits et des devoirs des prestataires avant d’appuyer l’élaboration de ce Code sur demande du ministère ayant la santé dans ses attributions. « Nous [Memisa, NDLR ] sommes déterminés à poursuivre notre appui à la diffusion de ces droits et devoirs et à la diffusion du Code dans le milieu professionnel des prestataires de soins et également au niveau de la population ». Nous nous réjouissons aussi de constater que les syndicats des professionnels de santé dont nous avons également appuyé l’élaboration des textes de leurs ordres, s’engagent activement dans la diffusion du Code.
Un outil indispensable à la réussite de la vision 2040- 2060
Le coordinateur de l’action de Memisa- Belgique au Burundi rappelle que les objectifs 12 et 13 de la Vision du Burundi émergent en 2040 et développé en 2060 concernent la santé. Il est prévu que le Burundi assure l’accès de toutes les Burundaises et de tous Burundais aux soins de santé de qualité. Le droit à la santé est reconnu par la Constitution du Burundi comme un des droits fondamentaux de la personne humaine. Ce code va permettre l’amélioration de la qualité de l’offre des soins de santé avec une éthique professionnelle cadrée et une déontologie qui respecte le malade dans sa dignité en tant qu’être humain et aussi le repère à l’art et le développement de la technologie de la science médicale pour s’adapter aux époques. Le respect de ces principes par les prestataires de soins et services de santé permet l’accès de la population à des soins de santé de qualité (c’est-à-dire efficaces, efficients, continus, accessibles, etc.), ce qui permet d’avoir une population en bonne santé capable de se développer et de développer le pays. Le respect des droits et devoirs des patients, d’un côté et le respect des droits et devoirs des prestataires, de l’autre côté permettent d’établir de bonnes relations entre le patient et le prestataire gage d’une bonne qualité de l’offre et aussi une satisfaction de la demande. Cette harmonie dans le système de santé contribue à un équilibre social, un des éléments d’un pays émergent vers son développement.
Diverses sanctions prévues par le Code de prestataire de soins
Le chapitre 5 de cette loi prévoit des sanctions. Par exemple, selon l’article 73 de ce code, est passible d’une suspension d’un mois dans l’exercice de ses fonctions, tout prestataire qui ne respecte pas les principes de moralité, de probité, de loyauté et d’humanisme indispensable dans l’exercice de sa profession. L’article 74, en cas de récidive, le prestataire de soins s’expose à une sanction de trois mois de suspension dans l’exercice de sa profession. « L’article 76 stipule que tout prestataire de soins qui n’exerce pas sa profession conformément aux normes professionnels s’expose à la réparation du tort causé par ses actes et d’une suspension d’une durée d’un mois. Et l’article 75 mentionne que quiconque pratique un acte médical que ce soit de diagnostic ou thérapeutique sans le consentement libre et éclairé du bénéficiaire s’expose à la réparation du tort causé au bénéficiaire.
Interrogé à propos, le représentant légal de l’ « ABDDM- Ubuzima ni katihabwa » dit que le code est conçu pour garantir un niveau élevé d’éthique et de professionnalisme dans les soins de santé. « Les sanctions prévues dans ce code sont essentielles pour assurer la responsabilité des prestataires de soins et maintenir des normes de qualité élevées. Il faut que les professionnels de santé sachent qu’ils sont redevables devant les citoyens », insiste M. Nindereye.
En ce qui concerne la plus-value de ces sanctions dans le strict respect des droits des patients, M. Nindereye dit qu’il est important de noter que les sanctions peuvent servir comme un moyen d’avertissement pour les professionnels de la santé qui pourraient être tentés de violer les normes éthiques et déontologiques. « En garantissant des conséquences claires et équitables pour les comportements répréhensibles, les sanctions peuvent contribuer à renforcer la confiance des patients dans le système de santé ».
Cependant, Pierre Nindereye trouve qu’il est important que les sanctions soient appliquées de manière équitable et transparente, en respectant les droits fondamentaux des patients. Les patients ont le droit d’être traités avec dignité et respect, même en cas de violation du code de déontologie. Il est donc essentiel que les sanctions soient proportionnelles aux infractions commises et qu’elles soient appliquées de manière juste et impartiale, en garantissant aux patients le droit à une procédure équitable.
Des cas de violation des droits des malades sont monitorés
En synergie avec les autres organisations sociétales comme la Croix-Rouge et les mutuelles de santé communautaire, l’ABDDM , sous l’appui technique et financier de l’ONG Memisa Belgique, a mis en place des comités provinciaux tripartites (CPT) de promotion, de protection et de défense des droits des malades dans les provinces de sa zone d’action. M. Nindereye affirme que des cas de violation des droits des malades sont monitorés et que le premier rapport de monitoring des droits des malades est déjà rendu public. Pour lui, cela montre déjà des compétences de l’ABDDM dans le suivi de la garantie et du respect des droits des malades par les prestataires des soins.
Toutefois, M. Nindereye affirme que les défis ne peuvent pas manquer. Les défis auxquels une association de défense des droits des malades, telle que l’ABDDM, peut faire face dans le suivi de la mise en œuvre des dispositions de ce code pourraient inclure trois volets. Il s’agit notamment du manque de ressources financières pour mener à bien leurs activités de suivi, de sensibilisation et de plaidoyer. Il y a également la résistance faite par les institutions ou les acteurs impliqués dans la mise en œuvre de la loi rendant ainsi difficile la surveillance et la vérification de la conformité. Troisièmement, M. Nindereye trouve que la mise en œuvre des dispositions du code peut être complexe et exiger une expertise juridique, ce qui constitue un défi pour une association de défense des droits des malades. Nous souhaiterions que la démarche amorcée de signature d’une convention de partenariat avec le ministère de la Santé publique et de la lutte contre le Sida aboutissent rapidement afin qu’il y ait un cadre de concertation et d’échange entre ledit ministère et la société civile engagée dans la santé pour créer un climat de travail favorable au respect des droits et devoirs du patient et aussi au respect des droits et devoirs des prestataires.
Moïse Nkurunziza