Lors de sa présentation du 25 juin 2021 intitulé « Un souci pour le pouvoir génocidaire: survivre à son crime» relatant les événements de 1972-1973 et les tragédies qui s’en sont suivies, l’ex-président Sylvestre Ntibantunganya indique que l’objectif n’est pas de susciter la rancœur ni d’inciter les gens à se venger, mais plutôt de savoir le passé qui a endeuillé le Burundi pour éviter de retomber dans les mêmes erreurs. Il appelle les Burundais à œuvrer pour le « Plus jamais ça ! ».
L’ex-président Ntibantunganya fait savoir que cela permettra de léguer à la jeunesse d’aujourd’hui et aux générations futures un meilleur avenir et un Burundi paisible. Il interpelle les citoyens à tous les niveaux à œuvrer dans ce sens car notre pays deviendra ce que les Burundais voudront qu’il soit.
M. Ntibantunganya explique que ce n’était pas l’Etat burundais toujours sous l’influence des leaders issus du système génocidaire qui pouvent prendre une initiative de faire reconnaitre le génocide des Hutu de 1972 à 1973 à la communauté internationale. Par contre, souligne M. Ntibantunganya, de 1972 à 1993, le système responsable des massacres des Hutu du Burundi de 1972 à 1973 n’a rien épargné pour nier ce génocide.
Il mentionne que c’était de ce système que provenaient les gouvernements qui ont géré l’Etat du Burundi du 28 novembre 1966 au 10 juillet 1993. Ce système était engagé dans une stratégie de déni du génocide des Bahutu du Burundi de 1972 à 1973 en mettant plutôt en œuvre tous les moyens nécessaires, les uns plus visibles que les autres, pour se maintenir et survivre à leurs crimes.
Un silence total sur le drame vécu
« A l’intérieur du pays, ce système avait imposé, à travers ses différents gouvernements, un silence total sur le drame qui avait été vécu. A côté de ce blackout, une diplomatie active avait été menée par ce système pour tenter de forger, au sein de la Communauté internationale, une image positive d’un pouvoir pourtant responsable du génocide », indique M. Ntibantunganya
Selon lui, rien d’étonnant, la plupart des responsables militaires et politiques qui se sont succédés au pouvoir depuis le 1er novembre 1976 étaient impliqués dans le génocide des Hutu du Burundi de 1972 à 1973. Au même moment, explique-t-il, au sein des Barundais, issus du groupe ethnique des Hutu réfugiés dans les pays voisins, se sont développé des sentiments de s’opposer militairement au pouvoir de Bujumbura. Des escarmouches militaires opposant des groupes rebelles aux forces armées burundaises avaient eu lieu et on dirait jusqu’au début de 1976 quelques mois avant la proclamation de la deuxième République.
Les souffrances causées par ce « génocide » maintenues et approfondies
M. Ntibantunganya souligne que le dirigeant de cette République, Col. Jean Baptiste Bagaza était le benjamin de l’équipe responsable du génocide des Hutu du Burundi de 1972 à 1973. Il était un membre certainement le plus influent du Conseil de guerre qui a légitimé, à travers des mécanismes pseudo-juridiques, le génocide des Hutu du Burundi de 1972 à 1973.
« Ni lui ni son successeur, le major Pierre Buyoya, n’avaient reconnu le caractère génocidaire des événements de 1972. Ce qui ne faisait que maintenir et approfondir les souffrances causées par ce génocide au sein des Burundais du groupe ethnique des Hutu en particulier et du peuple burundais en général », déplore-t-il.
Une société traumatisée
Selon M. Ntibantunganya, le groupe des Hutu du Burundi de 1972 à 1973 a laissé de grandes séquelles au sein des familles dont provenaient les victimes et au sein de la communauté nationale dans son ensemble. Le pouvoir du président Michel Micombero avait imposé une véritable écharpe de plan sur ce génocide. Cela a demeuré ainsi pratiquement jusqu’à la fin des années 1980 quand 27 intellectuels utu ont envoyé une lettre ouverte au président Pierre Buyoya suite aux événements de Ntega et Marangara. Ils avaient la préoccupation de prévenir la répétition du génocide des Hutu du Burundi de 1972-1973.
Il se réjouit que la parole sur ce génocide se fit davantage libérer à travers les négociations d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi. Mais c’est aujourd’hui que le débat sur le génocide des Hutu du Burundi de 1972-1973 emprunte des voies véritablement libératrices à travers les interventions publiquement assumées des veuves, des orphelins victimes de ce génocide sans oublier d’autres témoins burundais honnêtes et assoiffés de vérité.
Le Burundi se présentait comme un pays de disparus
Pendant et au lendemain du génocide, dit M. Ntibantunganya, ceux qui avaient perdu les leurs ne savaient pas où ils avaient été tués. En conséquence, ils n’ont pas eu l’occasion de les inhumer dignement et ils n’avaient pas le droit de pleurer.
Beaucoup de femmes ayant perdu leurs maris ont cru pendant longtemps qu’ils étaient sous interrogatoire ou en mission commandée.
Pendant plusieurs décennies, personne n’osait organiser le deuil, aucune cérémonie ne pouvait être organisée en la mémoire des disparus et le Burundi se présentait ainsi comme un pays de disparus. En outre, personne ne pouvait évoquer publiquement la réalité des ethnies au Burundi. Ces faits révèlent qu’aucun souvenir et aucun monument ne pouvaient ni être officiellement célébré ni être érigé. Les veuves et les enfants des suppliciés ne pouvaient non plus visiter les fosses communes dans lesquels les leurs avaient été jetés.
Une guérison des mémoires traumatisées.
Le Burundi est un amas de fosses communes dont notamment celles de 1972-1973 dans lesquelles les victimes du génocide des Hutu du Burundi ont été jetées pêle-mêle totalement et sauvagement dépouillés de leur dignité humaine. Mais avec la CVR, qui explore ces fosses communes, les populations environnantes sont invitées à y assister. C’est une occasion du début de libération et de guérison des mémoires traumatisées pour ceux qui ont perdu les leurs.
Cette réalité nous interpelle tous, particulièrement la CVR, sur la façon dont les fosses communes qui nous rappellent ce passé douloureux doit être géré. Ce sont des endroits qu’il faut entretenir pour la dignité de ceux qui s’y reposent. Le devoir de se souvenir et de compassion à l’endroit de ceux qui ont perdu les leurs, est l’engagement à œuvrer pour le « plus jamais ça ! » de la part des Burundais qui sont encore en vie et les générations futures.
Le traumatisme qui a empêché une représentation symbolique de ce qui s’est passé doit céder la place à une volonté farouche de réconciliation qui se matérialisera entre autres par la construction des monuments dignes et bien entretenus dans des endroits stratégiques du pays.
Ezéchiel Misigaro