La stigmatisation des enfants des parents atteints des troubles mentaux a des conséquences psychologiques profondes et durables. Ces enfants, parfois appelés « enfants invisibles », sont souvent confrontés à un double fardeau : d’une part, vivre avec un parent en souffrance psychique, et d’autre part, subir le regard social négatif porté sur la maladie mentale. Pire, ils assistent impuissamment à la déchéance de leurs parents sans rien faire. Dans un témoignage poignant, ces enfants nous racontent leur calvaire.

« Voir mon père nu errer à travers les rues, c’est terrible et choquant. C’est extrêmement pénible de vivre une situation pareille », raconte difficilement Damas, un homme de 36 ans habitant de Bujumbura, dont la mère a souffert d’une maladie mentale pendant environ 13ans. « C’était un fardeau difficile à porter », lâche-t-il la tête baissée.
« Moi et mes petits frères et sœurs avons été abandonnés par la famille proche et l’entourage. Personne ne nous a expliqué de quoi notre père souffrait. Personne ne l’a protégé. Il a été battu dans la rue. Souvent, il a été enchainé aux arbres », confie le jeune homme avec tristesse.
Stigmatisation au quotidien
C’est humiliant de voir son père déambuler tout nu dans le quartier. « Des fois, enchaine-t-il, je pensais que la société burundaise considérait un malade mental comme un criminel. C’était extrêmement traumatisant et révoltant de voir comment mon père était traité ».
Son père est tombé malade quand Dismas, l’aîné, avait 16 ans. Ses petits frères et sœurs étaient respectivement âgés de 14, 12, 9 et 6 ans. «Moi, je savais qu’il était malade, mais je ne savais pas ce qu’il avait exactement. On n’avait eu aucune information. Tout le monde a laissé tomber mon père. Personne ne l’a amené à l’hôpital ». Certains disaient qu’il était ensorcelé suite aux conflits fonciers.
Des individus normaux s’amusaient à lui provoquer pour voir son comportement violent. Quand il réagissait, c’était pour se faire agresser par ses provocateurs. Pour d’autres personnes, le délire de leur père était un sujet de divertissement, un spectacle qu’ils passaient des heures à se raconter. « On dit souvent qu’il vaut mieux voir un proche mort que le voir « fou ». Ce n’est pas le cas pour moi. J’aurais préféré qu’il soit vivant », chuchote Dismas, peiné. Heureusement, Dieu leur a secouru en envoyant un membre de la famille qui vivait à l’extérieur du pays qui est venu comme un sauveur pour leur père. Après une prise en charge au Centre psychiatrique de Kamenge, le père de Dismas guérit. Malheureusement, il mourut peu après, suite à une autre maladie en 2022.
Absence d’une prise en charge des enfants ayant des parents atteints des troubles mentaux ?
A cause de l’anxiété, les enfants ne pouvaient pas se concentrer sur les études. L’environnement familial était insupportable. Ils étaient constamment angoissés. «Nous nous repliions sur nous-mêmes. La solitude et le silence étaient notre lot quotidien», raconte Anitha, la petite sœur de Dismas.
D’après elle, plusieurs enfants des parents atteints des maladies mentales sont abandonnés. Ils n’ont aucun accompagnement social alors qu’ils en ont vraiment besoin. La plupart de ces enfants sont stigmatisés, marginalisés par la société. « Ce sont des oubliés », lâche-t-elle.
Un risque accru de développer des troubles mentaux
« La stigmatisation désigne le processus par lequel certaines personnes sont discriminées, marginalisées ou rejetées en raison d’une caractéristique perçue comme négative. Dans ce cas, il s’agit d’un enfant d’un parent souffrant de troubles mentaux », indique la psychologue Emérence, Kaneza.

Les enfants des parents atteints de troubles mentaux ont un risque accru de développer des troubles anxieux ou dépressifs. Cela peut être lié à l’instabilité émotionnelle dans leur environnement familial, à la peur de devenir «comme leur parent» et au sentiment de culpabilité ou de responsabilité envers l’état du parent.
« Face à la stigmatisation, ces enfants peuvent intérioriser des sentiments de honte ou de rejet, ce qui nuit à leur construction identitaire. Ils peuvent se sentir «différents» ou «anormaux». Ils peuvent également être en conflit entre loyauté familiale et besoin de se distancier de la maladie.
Chez ces enfants, la peur du jugement ou du rejet pousse certains à se couper des autres. Ils ont des difficultés à parler de leur situation, ils ont tendance à réduire des relations sociales et ils sont méfiants envers l’extérieur (enseignants, amis, etc.).
Ces enfants peuvent endosser un rôle de «parent du parent», prenant des responsabilités précoces, notamment, prendre en charge des tâches ménagères ou des frères et sœurs, soutenir émotionnellement le parent malade, ce qui peut les empêcher de vivre une enfance «normale».
Certains enfants peuvent accepter comme vraie l’idée que leur famille est «inférieure», ou que leur sort est inévitable comme avoir un sentiment d’impuissance, un manque d’estime de soi et avoir une difficulté à demander de l’aide.
Que faire pour éviter ces conséquences?
Pour limiter ces conséquences, il est essentiel de briser le silence autour de la maladie mentale, de fournir un accompagnement psychologique spécifique aux enfants (groupes de parole, psychothérapie), de former les professionnels de l’enfance à détecter et soutenir ces jeunes et aussi de promouvoir des actions de sensibilisation pour réduire la stigmatisation sociale.
C’est difficile d’avoir une idée du nombre de personnes affectées par les maladies mentales au Burundi. Il paraît qu’ils soient rares ceux qui se rendent dans les centres de prise en charge psychologique ou psychiatrique. Cela laisse penser qu’il est urgent de définir une politique nationale claire et précise de prise en charge des malades mentaux et de leurs enfants.
Comment lutter contre cette stigmatisation ?
Mme Kaneza informe qu’une sensibilisation des gens contre la stigmatisation des enfants des parents souffrant de troubles mentaux est essentielle pour leur garantir un environnement bienveillant, inclusif et soutenant. Il existe plusieurs axes concrets et efficaces à envisager pour mener une campagne de sensibilisation, notamment l’éducation et information pour combattre l’ignorance, source majeure de stigmatisation. On peut organiser des ateliers ou conférences dans les écoles, centres des jeunes, hôpitaux, pour expliquer ce que sont les troubles mentaux (dépression, schizophrénie, bipolarité, etc.).
L’impact sur les familles, notamment les enfants.
« Le soutien psychologique et social des enfants ayant des parents atteints de troubles mentaux est crucial pour leur développement affectif, cognitif et social. Ces enfants peuvent être exposés à des stress importants, des responsabilités précoces, de l’instabilité émotionnelle et parfois de la négligence » explique Mme Kaneza.
Ces enfants doivent avoir accès à un professionnel. Il faut proposer un accompagnement par un psychologue ou psychiatre. Il faut également renforcer l’estime de soi et encourager leurs réussites scolaires et personnelles. Leur montrer qu’ils ont le droit à une vie d’enfant, malgré la situation familiale.
Mme Kaneza souligne qu’il faut un soutien aux familles de ces enfants pour renforcer les compétences parentales malgré la maladie, pour protéger l’enfant sans culpabiliser les parents, pour offrir un répit, un accompagnement et des ressources et pour créer un réseau solidaire autour de la famille.
Briser la stigmatisation, c’est surtout reconnaître la complexité des situations, donner la parole à ceux qu’on n’entend pas, et renforcer la solidarité plutôt que la peur.
Eliane Nduwimana
