
D'après Abbé Désiré Yamuremye, la politique n'est pas un jeu à durée indéterminée
Après la crise déclechée le 21 octobre 1993 avec l’assassinat du président Melchior Ndadaye qui a duré plusieurs années, le Burundi est entré dans un processus démocratique depuis la signature de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi ainsi que l’accord de cessez-le-feu signé à Arusha le 2 décembre 2002 entre le gouvernement de transition du Burundi et le CNDD-FDD. Le Burundi est en effet entré dans une nouvelle ère avec la mise en place des institutions politiques par les élections organisées démocratiquement. Toutefois, depuis les élections de 2010, il a été chaque fois observé des réclamations de certains responsables politiques, d’une part ainsi que des chicaneries et des querelles entre les membres de différents partis politiques, surtout à l’approche des élections, d’autre part. De ce fait, à deux ans des élections législatives de 2025, nous avons cherché à savoir ce que disent les uns et les autres sur le climat politique qui règne aujourd’hui au Burundi. Nos interlocuteurs, se réjouissent du climat sociopolitique qui prévaut au Burundi actuellement.
D’après l’analyste politique, abbé Désiré Yamuremye, la situation actuelle au Burundi démontre une certaine maturité dans ce qu’on appelle les pays en période de transition démocratique. « De plus en plus, on voit qu’il y a moins de tensions politiques. Il y a beaucoup de rencontres qui réunissent les hommes politiques et ceux qui sont au pouvoir, des réunions entre les gouverneurs et les présidents des partis politiques ou des réceptions de fêtes où tout le monde est présent. Ce qui était plus ou moins rare dans le passé ». Tout cela vient de la dynamique démocratique que les Burundais ont déjà comprise. « Ça vient aussi du président de la République actuel, Evariste Ndayishimiye, qui démontre une certaine volonté de rassembler tous les Burundais derrière un seul projet qui consiste à développer le pays. De plus en plus, nous voyons des jeunes de différents partis politiques qui partagent des travaux de développement au lieu de se battre. C’est ça qui explique le bon climat politique qui se manifeste à la veille ou à deux ans du suffrage de 2025», observe abbé Yamuremye.
Il s’agit d’un bon signe parce que la jeunesse, qu’elle soit de telle ou de telle autre obédience, a déjà compris qu’elle partage le même problème, « celui d’accès à l’emploi, d’accès au travail, d’accès à ce qui donne de quoi manger. Je pense que de plus en plus, les Burundais comprennent que le motif du combat à mener aujourd’hui n’est plus un combat politico-politicien, mais un combat pour un Burundi développé », observe toujours Yamuremye.
Une évolution positive de la mentalité
Même son de cloche chez, le président et représentant légal de l’Association pour l’assistance et la formation juridique du citoyen (AFJC Berintahe), Venuste Muyabaga, qui se réjouit aussi de la situation sociopolitique qui prévaut dans le pays, comparativement aux années antérieures. « Pour les périodes électorales passées, on était beaucoup dérangé par des querelles politiques, des chicaneries et des mésententes entre les membres des partis politiques. Mais maintenant, de ce côté, il y a eu une évolution significative dans la mentalité des Burundais. Le fait qu’il n’y a plus de querelles signifie que la notion de démocratie est encrée dans les esprits des Burundais qui sont devenus de plus en plus très compréhensifs à la démocratie et tolérants entre eux. Maintenant, on peut affirmer sans se tromper qu’il y a eu une amélioration positive au niveau politique », affiirme-t-il.
C’est la même satisfaction chez le président du parti Alliance pour la paix, la démocratie et la réconciliation (APDR), Gabriel Banzawitonde, qui trouve que compte tenu de la situation politico-sécuritaire actuelle au Burundi, la démocratie est enracinée au Burundi et dans les esprits des Burundais. Il espère que les élections de 2025 et 2027 se passeront correctement.
La dynamique constitutionnelle a changé la donne
A la question de savoir si les responsables politiques sont aujourd’hui satisfaits, alors qu’ils avaient l’habitude de réclamer ceci ou cela à l’approche des élections, abbé Yamuremye dit qu’on ne peut pas savoir s’ils sont satisfaits ou pas. Mais il pense que la dynamique constitutionnelle a changé la donne puisqu’elle n’est plus celle qui consistait à subdiviser l’action gouvernementale ou à subdiviser l’Exécutif en termes de pourcentages reçus. Aujourd’hui, nous voyons des gens qui ne sont pas du parti politique au pouvoir ou des gens qui n’appartiennent à aucun parti politique qui participent dans l’action gouvernementale ».
Il la juge être bonne pour amener les Burundais à abandonner la situation confuse ou floue dans laquelle le monde colonial a plongé le peuple burundais à savoir la dimension ethnique de nos problèmes. Nous devons nous engager dans une autre dynamique qui est celui de vivre ensemble pour un développement d’ensemble afin que les différences soient de l’ordre de vision, et non pas de l’ordre ethnique ou régional. Nous devons nous engager aussi dans une dynamique qui fait qu’une personne qui a une vision et des militants derrière lui gagne les élections, exécute son projet de société et finit son mandat en bonne et due forme. Si le peuple a toujours besoin de lui, il pourra alors renouveller encore une fois son mandat, ainsi de suite. Donc, c’est cette dynamique qui devrait produire de la joie et une certaine maturité politique du Burundi dans le concert des Nations et dans le concert de la région de l’Afrique de l’Est», estime abbé Yamuremye.
Sur la même question, M. Banzawitonde dit qu’en politique, les choses se règlent du jour au jour. « Aujourd’hui avec la volonté du président de la république du Burundi de résoudre les problèmes dans toutes leurs formes, il est difficile de trouver des chicaneries au sein des partis politiques. Pour le moment, l’intention du gouvernement actuel est de donner la chance aux technocrates au lieu des partisans des partis politiques », fait-il observer.
Une détente politique
D’après abbé Yamuremye, ce que les gens entendaient par verrouillage politique, est le fait de refuser aux uns et aux autres de manifester ou de rassembler leurs militants. Aujourd’hui, il trouve que les partis politiques organisent des événements chaque fois que de besoin. Ce qui est pour lui un indicateur de détente politique suffisant. Il donne l’exemple du communiqué du ministre en charge de l’intérieur du 13 janvier 2023 appelant les gouverneurs de province et les administrateurs communaux à permettre tous les membres des partis politiques de se manifester.
Dans l’esprit du communiqué; les partis politiques organisent désormais librement leurs réunions qui ne font qu’informer seulement l’autorité compétente de l’activité. Il n’est donc plus question de demander l’autorisation NDLR.
Le président et représentant légal de l’AFJC-Berintahe ainsi que le président de l’APDR trouvent aussi qu’il n’existe pas de verrouillage de l’espace politique aujourd’hui. Ils déplorent, toutefois, le fait que pas mal de partis politiques ne sont pas capables d’organiser des activités sur le terrain. « Beaucoup de partis politiques n’ont pas plutôt de capacités de pouvoir aller sur le terrain et dans le fin fon du pays. Cela a veut dire que les gens créent des partis politiques pour des visées personnelles et non pas pour des visées nationales. Si on avait des visées nationales, on devrait même arriver à la colline. Pour dire que celui qui arrive à la colline est celui qui a la chance d’avoir des voix. Or, aujourd’hui, nous n’avons que deux à quatre partis politiques qui peuvent avoir cette stature nationale », estime M. Muyabaga. De son côté, M. Banzawitonde fait remarquer que le seul grand problème est que, aux partis politiques ne sont pas capables d’atteindre tous les coins du pays, faute de moyens.
Le représentant légal de l’AFJC-Berintahe, conseille alors aux partis politiques à faibles capacités et qui ont peu ou pas de militants de se coaliser avec les partis politiques qui ont une envergure nationale pour renforcer la démocratie et cheminer ensemble vers le construction et le développement du pays.
Une quarantaine de partis politiques n’est pas nécessaire
Pour l’analyste politique, Yamuremye, une question que chacun devrait toujours se poser est de savoir si le Burundi a besoin de 42 ou 43 partis politiques. « On peut répondre, sans aucun doute, que non. Cela parce que quand on regarde les différentes visions de certains partis politiques, elles se ressemblent tellement qu’il est difficile de faire une différence entre le projet X et le projet Y. C’est-à-dire que si on essayait de faire un bon jeu d’alliance, on ne devrait pas avoir dans ce pays au delà de 2 ou 3 partis politiques. Donc, pour les partis politiques qui se lamentent qu’il y a verrouillage politique et qu’ils ne peuvent pas rassembler leurs membres, il faut aussi quelque fois se poser la question de savoir s’ils en ont. Si demain on fait un exercice, d’aligner tous les quarante-trois partis politiques et de demander que leurs militants s’alignent derrière eux, il y en aura qui n’aurait même pas plus de vingt militants »estime-t-il. A un certain moment, il faut oser quitter la scène politique burundaise parce que la politique n’est pas un jeu à durée indéterminée. « Quand quelqu’un voit que son idéologie ne fonctionne plus et que le peuple lui fait sentir que cela ne fonctionne plus, en refusant d’adhérer à sa vision, à un moment donné il faut dire je pars à la retraite en politique », conseil-t-il.
Le président et représentant légal de l’AFJC-Berintahe trouve lui aussi qu’il y a des partis politiques qui n’existent que de nom. Selon la configuration mondiale ou internationale, il ne peut y avoir plus de 4 ou 5 partis politiques dans un pays. « Je comprends mal comment un pays comme le Burundi a plus de quarante partis politiques. Il se comprendrait s’il y en avait 2, 3 ou tout au plus 5 partis politiques. Si on compare les statuts des partis politiques, peut-on comprendre qu’au Burundi il y aurait plus de quarante projets de société ? Cela veut dire que les projets de société sont très semblables », affirme-t-il. Il est incompréhensible qu’aux Etats-Unis, un pays de plus de cinquante Etats, dispose principalement de deux partis politiques seulement et qu’au Burundi, un pays d’un peu plus de 27 000 km2 possède une quarantaine de partis politiques. « C’est incompréhensible ».
Différentes appartenances politiques, un atout pour le développement
Nous avons aussi cherché à savoir si les différences ou les appartenances politiques sont un atout ou non pour développer du pays. Pour abbé Yamuremye, chaque parti politique doit avoir son propre projet, différent d’un projet X de l’autre. Il doit avoir aussi une idéologie qu’il défend. Pour M. Banzawitonde du parti APDR, tout Burundais devrait normalement avoir son appartenance politique en ce sens que la diversité des idées est la base de la richesse du pays. Autrement dit, « ceux qui sont au pouvoir ont besoin d’autres idées ou des critiques enfin de prendre de bonnes mesures ou de trouver des solutions adéquates aux différents problèmes ».
De son côté, M. Muyabaga trouve que les différences ou les appartenances politiques ne devraient être que des atouts pour le développement du pays. « Même si nous disons que les partis politiques ne doivent pas être nombreux dans le pays, nous encourageons la pluralité des projets, nous encourageons la démocratie, nous encourageons les partis politiques parce qu’un seul parti au pouvoir ne peut pas tout faire. Comme le parti politique est fait d’hommes et de femmes, ce sont ces derniers qui font le parti politique et qui en sont membres. Alors, l’Homme est de nature faillible. D’où, lorsque quelqu’un a failli, il faut quelqu’un d’autre pour lui faire un clin d’œil. Donc, cette différence au niveau de la conception, au niveau de la promotion et au niveau des idées viendras pour construire», se convainc-t-il.
Bien plus le président et représentant légal de l’AFJC-Berintahe trouve que les différentes appartenances politiques amènent les gens à mieux faire. « Cela parce que, quand un acteur politique sait qu’il y a quelqu’un qui le regarde et qui suit de prêt ce qu’il fait, il essaie de faire mieux. Pour dire que celui qui est au pouvoir, lorsqu’il parvient à comprendre que les critiques de l’autre viennent corriger ses erreurs, c’est qu’il est en train d’œuvrer pour l’intérêt du pays. Donc, lorsqu’on n’a pas quelqu’un qui te fait un clin d’œil, on a tendance à croire que tout ce qu’on fait est bon », fait-il observer.
Les différences d’opinion et les appartenances politiques constituent ainsi un atout pour le développement du pays parce qu’elles se complètent. Les observations critiques permettent à celui qui est en train de conduire l’action gouvernementale, de corriger ses erreurs parce que s’il ne se corrige pas, lors des élections suivantes, le peuple risque de le corriger lui-même. « Il faut qu’il sache que là où il commet des erreurs il doit se corriger et cette correction vient des critiques des autres. C’est-à-dire des autres partis politiques, de la société civile et d’autres composantes de la société , bref les différents intervenants dans la vie politique », fait-il observer.
La vie ne commence avec, ni ne finit pas après les élections
A propos de ce que doivent faire les uns et les autres pour le bon déroulement des élections législatives de 2025, tous nos interlocuteurs font un clin d’œil aux responsables politiques d’une part et à la population d’autre part. Ainsi, abbé Yamuremye invite les hommes politiques à se rappeler qu’après les élections la vie continue. « Quand on gagne, on gouverne et quand on perd, on attend, la démocratie étant un jeu de patience », affirme-t-il.
Au peuple burundais, il lui demande de savoir que la vie ne commence pas avec les élections et qu’elle ne finit pas après les élections. « La vie est une continuité. Le vote qui va arriver en 2025, c’est un acte accidentel de la vie, comme le dit Aristote. On part, on vote pacifiquement, on rentre, on retourne au travail parce qu’après le vote on doit manger. Il faut que les Burundais adoptent une certaine stratégie de vie. Cela veut dire, savoir quel est aujourd’hui l’intérêt pour un Burundais ? C’est de voir son pays se développer non pas comme les autres, mais comme le Burundi », suggère-il.
De son côté, le président et représentant légal de l’AFJC-Berintahe conseille aux leaders politiques de revisiter le passé et penser aux difficultés que le peuple burundais a eues avec les élections de 1993, 2005, 2010, 2015 et 2020. « Il ne faut jamais retourner dans ces situations. Il faut que ces difficultés du passé nous enseignent et nous donnent une leçon pour préparer le futur. Il serait regrettable que le Burundi retombe dans les situations qu’il a eues pendant toutes ces périodes. Nous sommes contents de voir que 2025 approche avec moins de bagarres politiques. Et nous osons espérer que ce climat va perdurer », se réjouit-il.
Pour le président de l’APDR, le Burundi a connu beaucoup de calamités politiques. « On n’a pas besoin que ces calamités qui ont duré des décennies restent toujours un fardeau pour le pays. Donc, il faut que les gens se préparent pour vaincre tout cela en mettant d’abord en avant l’intérêt de la nation », conseille-t-il.
Tirer les leçons de l’histoire
S’exprimant toujours sur le bon déroulement des élections législatives de 2025, M. Muyabaga invite les Burundais à éviter les querelles et les chicaneries inutiles. « Il faut les laisser pour s’engager dans un combat politique honnête, un combat politique progressiste qui apportera une valeur ajoutée à la survie de la population burundaise et au développement du pays. Si un leader politique songe aux malheurs, aux difficultés, à mal faire pour le pays et le peuple, c’est en quelque sorte une malédiction. Si tout homme politique songe par contre au bien-être de la population, il doit écarter tous les maux que le Burundi a vécus dans le passé. Il doit tirer la leçon des situations malheureuses pour préparer une bonne politique», conseille-t-il. Et d’inviter les hommes politiques à ne plus retomber dans les erreurs du passé afin d’avancer et de donner une leçon à la démocratie au niveau de l’Afrique. « Ce sera un honneur pour le pays, un honneur pour l’Afrique, pour nos ancêtres, pour nos héros qui ont tant lutté pour que le pays se développe dans la démocratie et dans la dignité », estime-t-il.
Muyabaga demande à la population burundaise, surtout aux membres des différents partis politiques, d’apprendre aussi du passé. « Il ne faut plus qu’il y ait des tueries au niveau de la population. Il ne faut pas que quelqu’un tue son voisin à cause de son appartenance politique alors que demain il pourra avoir besoin de lui », insiste-t-il.
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Astère Nduwamungu