Née en 1957, dans une famille catholique, en province de Mwaro, commune Kayokwe, colline Nyakibari, sous colline Gasanda, Libérate Nicayenzi, femme issue de la communauté Batwa, veuve et mère de sept enfants, trois filles et quatre garçons, est la première femme députée de l’ethnie Twa à être intégrée à l’Assemblée nationale, depuis 1999, lors du gouvernement de transition. Malgré des situations difficiles et discriminatoires qu’elle a vécues sur le banc de l’école à Kiganda, Mme Nicayenzi a décroché un diplôme d’institutrice et a occupé plusieurs fonctions au pays. Sa participation en politique est, selon elle, la vie de courage dans un monde fermé face à la question des autochtones. D’autres voient en Mme Nicayenzi, la réincarnation d’Esther, une fille orpheline juive qui est devenue la reine du roi Assuérus et qui, selon la bible, a sauvé son peuple du massacre et de la haine du Hanan.

Fille de Pierre Buriyamo et de Madeleine Biyakatse, Libérate Nicayenzi, est une sexagénaire et est considérée comme un modèle dans la promotion des droits des Batwa et la lutte contre la discrimination. Le pagne est son style vestimentaire préféré. Très attentive en répondant ; elle pèse toujours ses mots. L’engagement, la détermination, le courage, la patience, l’amour du prochain et la crainte de Dieu font que sa participation en politique ait eu d’impacts très positifs à la participation de la femme Twa dans les instances de prises de décisions.
Des études brillantes malgré une forte discrimination
Mme Nicayenzi garde deux souvenirs différents quant à son parcours scolaire. Elle garde un bon souvenir de l’école primaire de Kibumbu et un mauvais souvenir de Kiganda dans la province de Muramvya où elle a subi une forte discrimination. Libérate Nicayenzi a fréquenté l’école primaire de Kibumbu, une école qui était sous convention catholique. Surdouée, elle réussit au concours appelé autrefois « interdiocésain ». « A l’école, j’étais à l’aise, active et dynamique. En première année, j’ai même reçu un cadeau parce que j’ai été la première de la classe».
Après la réussite de l’interdiocésain, elle a été orientée à Kiganda, en province de Muramvya. La situation a complètement changé. A cause de la frustration, la jeune fille de douze ans n’a pas pu continuer sur le rythme qu’elle avait à l’école primaire. « Au secondaire, j’ai connu une situation chaotique qui m’a frustrée, traumatisée et blessée».
« Les autres élèves me malmenaient (Barandya ibinuma). Quand le reste des élèves ont su que je suis une fille mutwa, un certain week-end, à table, juste après la prière, tout l’établissement a crié ‘’Umutwa, Umutwa, Umutwa!’’ (Cas intéressant une gamine twa, une gamine twa est parmi nous!). Ce soir je n’ai pas mangé et c’est la directrice, une belge, qui a calmé ce mouvement ».
Les larmes aux yeux, d’une voix basse, Mme Nicayenzi raconte également qu’un groupe de jeunes filles l’a encerclée plusieurs fois, et elles la regardaient des pieds à la tête, la bousculaient. « Je n’avais jamais connu cela à Kibumbu ».
Rejetée par toutes ses camarades de classe, le calvaire s’amplifie un certain lundi quand son institutrice, la prénommée Rebecca l’a retirée du premier banc et l’a fait asseoir derrière les autres élèves. « Depuis lors, je n’ai plus levé le doigt en classe ni participé aux jeux avec les autres élèves. A notre époque, on nous entrainait à s’exprimer en français avec certains mots. Les élèves de ma classe, quand ils donnaient des phrases, elles y mettaient mon nom. Je me souviens des phrases qu’elles aimaient donner comme par exemple : Si Libérate ne veut pas lever le doigt qu’elle sorte ou encore Libérate ne lève pas le doigt alors il faut qu’elle sorte », se rappelle-t-elle.
Une femme combattante et d’influence
De 1999 à 2013, soit 13 ans, Libérate Nicayenzi a été à la tête de l’Uniproba (Unissons-nous pour la promotion des Batwa), une première organisation non gouvernementale qui se penche sur les questions et problèmes qui hantent le peuple autochtone et dont elle est un des membres fondateurs. Ses combats ont été porteurs de bons résultats. Mme Nicayenzi a voyagé dans plusieurs pays pour témoigner les bonnes pratiques du Burundi en faveur des Batwa parce qu’il a été le premier pays à intégrer le peuple autochtone dans les instances de prise de décision. Bertrand Biyaya, son fils aîné ainsi que le représentant légal de l’Uniproba, Emmanuel Nengo décrivent Mme Nicayenzi comme un modèle qui a réussit à promouvoir les droits des autochtones et à pousser les filles de la communauté Batwa à se lancer en politique. « Elle est une femme de valeur, d’ambition, une femme combattante, une femme d’influence et de confiance», étale ses éloges Bertrand Biyaya. Il converge avec sa sœur Diane Gracia Nduwimana qui affirme que « la réussite n’est pas d’avoir de l’argent mais plutôt d’avoir de l’influence pour améliorer la vie des gens ». Sa présence au parlement et sa participation à la fondation de l’Uniproba, a reconnu Emmanuel Nengo, a fait des impacts positifs sur la communauté des Batwa. «Mme Nicayenzi qui est actuellement présidente du Conseil des sages au sein de l’Uniproba, est un modèle pour les autres femmes batwa. Au début, elle était seule et s’est fortement engagée à l’éducation des jeunes filles batwa. Elle a cultivé en elles un changement de mentalités et l’estime de soi », a martelé Emmanuel Nengo.
« Lors des négociations d’Arusha, j’ai exercé une influence pour que les Batwa ne soient pas oubliés. Les résultats ont été appréciables avec la représentation dans les deux chambres du parlement, avec six sièges au total », se souvient Mme Nicayenzi, tête inclinée vers le bas. A l’arrivée du pouvoir issu des élections de 2005, nous avions une soixantaine des Batwa, hommes et femmes, dans les conseils communaux.
La nomination d’un ministre de la communauté Twa, un des impacts positifs de Libérate Nicayenzi
En 1999, lors du gouvernement de transition, elle a été la première femme twa à sièger à l’Assemblée nationale. De 1999 à 2010, elle a fait deux mandats à l’Assemblée nationale et depuis 2010 à 2014, elle était sénatrice. De 2014 à 2018, elle a été membre de la Commission vérité et réconciliation (CVR). Elle a été membre fondateur et a dirigé l’Uniproba pendant 13 ans, de 1999 à 2013. Libérate Nicayenzi a mis beaucoup d’efforts dans la sensibilisation des femmes à jouer pleinement leurs rôles dans la politique du pays. « En 2012, grâce à l’appui financier de l’Onu-femme, j’ai coordonné le projet de sensibilisation de la femme burundaise à élire et à se faire élire. Pour le moment, je travaille avec l’Onu-femme dans l’exécution du projet visant à sensibiliser les femmes batwa des provinces Cankuzo et Ruyigi à participer activement dans les prochaines échéances électorales », indique-t-elle. Et d’ajouter : « Ma participation à la vie politique a éclairé les autres Batwa, en particulier les femmes, à se lancer en politique. Notre premier combat était d’éveiller la conscience des Batwa à la scolarisation. Bien que le chemin reste long, le pas déjà franchi est à saluer. Nous avons actuellement des hommes et femmes batwa dans les instances de prises de décisions». Même son de cloche de la part d’Emmanuel Nengo : « Il y a aujourd’hui des filles et femmes batwa qui participent dans les instances de prises de décision. La ministre ayant le genre et la solidarité nationale dans ses attributions, Imelde Sabushimike est le témoignage vivant des contributions énormes de Mme Nicayenzi pour qu’elle soit à ce stade ».
Enfin, Emmanuel Nengo affirme que Libérate Nicayenzi est un bon modèle : « Certaines familles ont même décidé de donner à leurs enfants les mêmes noms de Mme Nicayenzi pour les encourager à être comme elle ».
Moïse Nkurunziza