L’assistance judiciaire est un important levier de la bonne administration de la justice dans un pays comme le Burundi où les citoyens dans leur majorité baignent dans l’ignorance des règles de procédure en la matière. Ceux d’entre eux en conflit avec la loi et incapables d’avoir accès au service d’assistance judiciaire ne savent même pas que leurs droits sont protégés par le Code de procédure pénale (CPP). Bien que celui-ci prévoit le droit pour toute personne poursuivie de bénéficier d’un service d’assistance judiciaire, l’application des dispositions pertinentes y relatives dans la pratique quotidienne souffre de nombreux manquements.

S’exprimant en tant qu’ex chroniqueur judiciaire du quotidien « Le Renouveau du Burundi, Serges Gahungu qui nous partage le produit de sa lecture du CPP au sujet de la garantie d’assistance judiciaire trouve que les acteurs de la chaine pénale devraient se reconnaitre en première ligne dans la mise en œuvre des devoirs de leur charge pour les besoins de la manifestation de la vérité dans le processus d’administration de la preuve. Il en va de leur crédibilité et de la confiance que les citoyens peuvent placer en la justice de leur pays.
A l’article 243 du CPP, il est demandé au tribunal de faire « toutes les diligences qu’il estime utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité » dans le processus d’administration de la preuve. Notre interlocuteur estime que la personne confrontée à la loi pénale face à l’officier du ministère public et à la partie civile généralement assistée ou représentée par un avocat est pratiquement laissée à elle-même si elle ne bénéficie pas d’assistance judiciaire et que conséquemment le tribunal sera loin d’atteindre son objectif dans de telles circonstances avec un risque accru de mal jugés ou d’erreurs judiciaires
D’une instruction biaisée ne peut sortir qu’une décision injuste
Pour ce faire, explique-t-il, il est important d’informer l’auteur présumé d’infraction de ses droits en rapport avec les garanties nécessaires pour l’exercice du droit de la défense telles qu’elles sont énumérées à l’article 138 du CPP, en l’occurrence celle de se choisir un avocat et de se faire assister par lui au cours des actes d’instruction. L’article 111 du CPP prévoit que l’inculpé comparaissant devant l’officier du ministère public pour fournir des explications sur les faits qui lui sont reprochés « doit être informé de ses droits », l’article 10, lui, parlant notamment du « droit de garder le silence en l’absence de son conseil ».
L’article 220 consacre la comparution du prévenu en personne tout en prévoyant la possibilité d’une comparution par un avocat ou par une personne agréée par le juge dans les poursuites relatives à des infractions à l’égard desquelles la peine de servitude pénale prévue par la loi n’est pas supérieure à deux ans.

Aux termes de l’article 222, « chacune des parties peut se faire assister d’un avocat ou d’une autre personne agréée spécialement dans chaque cas par le tribunal pour prendre la parole en son nom. Sauf si le prévenu s’y oppose, le juge peut demander au bâtonnier de lui désigner un avocat inscrit au barreau. Toutefois, l’assistance d’un défenseur est obligatoire pour les prévenus mineurs. Lorsque l’infraction pour laquelle le prévenu est poursuivie est punie de la servitude pénale d’au moins vingt ans, l’assistance d’un défenseur est obligatoire sauf si le prévenu y renonce ».
Le CPP dispose donc que le processus d’instruction dans les poursuites contre les mineurs de moins de dix-huit ans ne peut pas se dérouler sans assistance judiciaire. « Sous peine de nullité, tout interrogatoire d’un mineur de moins de dix-huit ans doit se dérouler en présence d’un avocat ou de toute personne ayant des connaissances en matière de justice juvénile dûment agréée par l’autorité judiciaire en charge du dossier ».
Il stipule en outre en son article 269 que, dans la procédure de flagrance, « l’officier du ministère public informe l’inculpé qu’il a le droit de se choisir un avocat. Il est fait mention de cette formalité dans le procès-verbal d’audition contresigné avec l’inculpé. Toutefois, l’assistance d’un défenseur est obligatoire quand l’infraction pour laquelle l’inculpé est poursuivi et punie d’au moins vingt ans de servitude pénale ».
Les dispositions pertinentes du CPP protégeant les droits des personnes confrontées à la loi pénale montrent bien que l’impérative nécessité d’assistance judiciaire est loin d’être facultative et qu’en cas d’omission d’accomplir un devoir y relatif, d’une instruction biaisée, ne peut sortir qu’une décision judiciaire injuste », indique notre interlocuteur.
Un droit inscrit dans la loi mais souvent ignoré
Quant à Me Aimé Rukezi, avocat au barreau de Bujumbura, il estime que le droit pour toute personne poursuivie de bénéficier d’un service d’assistance judiciaire est souvent ignoré bien qu’il soit inscrit dans la loi. « Le CPP du Burundi prévoit expressément le droit pour toute personne poursuivie de bénéficier d’un service d’assistance judiciaire, notamment dans les cas les plus graves. Cette disposition traduit une volonté claire de garantir une justice équitable, respectueuse des droits fondamentaux, en particulier pour les mineurs et les personnes encourant de lourdes peines.
L’article 222 précise que l’assistance d’un défenseur est obligatoire sauf si le prévenu y renonceʺ, lorsqu’il s’agit d’un mineur en conflit avec la loi ou d’un inculpé poursuivi pour une infraction passible d’une servitude pénale d’au moins vingt ans. L’esprit de la loi est limpide : « Dans des situations où la liberté, voire la vie, d’un individu est en jeu, la présence d’un avocat n’est pas un luxe, mais une garantie ».
Pourtant, dans la pratique judiciaire quotidienne, l’application de cette disposition souffre de nombreux manquements. Il n’est pas rare que des inculpés comparaissent sans avoir été informés de leur droit à l’assistance d’un défenseur ou soient dissuadés, implicitement ou explicitement, d’en faire usage. Quant aux mineurs, leur vulnérabilité les expose davantage à un traitement judiciaire qui ignore leurs besoins spécifiques de protection et de compréhension.
Dans un cas d’espèce, j’ai été saisi tardivement dans un dossier où un prévenu avait été condamné à la servitude pénale à perpétuité. Ce qui est choquant, c’est qu’il avait été jugé en première instance, puis en appel, sans jamais avoir bénéficié de l’assistance d’un avocat. Or, la loi est formelle : l’assistance d’un défenseur est obligatoire pour ce type d’infractions », souligne-t-il.
Il ajoute que ce genre de pratiques, loin d’être isolées, compromet sérieusement la crédibilité de l’institution judiciaire. Dans ce cas précis, un pourvoi en cassation est en passe d’être introduit, mais les délais, le formalisme et l’épuisement moral du condamné pose de sérieuses limites, poursuit-il.
Un mineur condamné sans défenseur: une erreur irréparable
Pour sa part, Me Innocent Kana, également membre du barreau de Bujumbura, partage un cas édifiant : « Il y a environ deux ans, j’ai été alerté tardivement sur une affaire concernant un garçon de 15 ans, poursuivi pour le vol aggravé. L’affaire avait déjà été jugée en premier instance, et l’enfant avait été condamné à cinq ans de servitude pénale. A ma grande stupéfaction, aucun avocat ne l’avait assisté au procès. Ni la police, ni le parquet, ni même le juge n’avaient soulevé cette obligation légale pourtant claire.
J’ai immédiatement introduit un recours en appel, non seulement pour contester la décision mais aussi pour dénoncer cette grave irrégularité. Heureusement, la cour d’Appel a annulé le jugement pour violation du droit fondamental à l’assistance judiciaire, et l’enfant a été remis à ses parents, avec une prise en charge éducative à la place d’une sanction pénale. Mais combien d’enfants passent entre les mailles du filet sans qu’aucun avocat ne soit là pour les défendre ? » ‘
Les interlocuteurs s’accordent sur le fait que ces manquements ont des conséquences graves, notamment des condamnations contestables, des procès entachés de nullités, des détentions prolongées en attente de jugement, et surtout, une perte de confiance dans l’institution judiciaire. Ce sont là des erreurs que la justice ne devrait pas se permettre, surtout lorsqu’elles sont évitables par une stricte application de la loi.
Anne Bella Irakoze (Stagiaire)