Bien qu’elles aient payé un lourd tribut des différentes crises qui ont endeuillé le Burundi, étant parmi les premières victimes, les femmes sont souvent oubliées dans différentes initiatives de la CVR (Commission Vérité et réconciliation). Gaudence Ntunguka, du site des déplacés de Bugendana ne s’est pas découragée. Par ses actions de rapprochements des résidents et des déplacés, cette battante est en train de réussir la réconciliation dans cette commune. Cette quinquagénaire a réussi là où les autres ont échoué. Elle est artisane de la cohésion sociale.

Victime de la guerre de 1993, Gaudence Ntunguka est une mère de cinq enfants, veuve suite à cette tragédie, elle est en train de gagner un pari : « panser ses blessures et celles de sa communauté et de sa commune meurtrie par cette crise ». Rencontrée au chef-lieu de sa commune Bugendana, elle confie que c’est une quinquagénaire aujourd’hui heureuse. Son visage trahit son âge. Elle est à l’aise quand elle relate comment elle a pu surmonter ce qui lui était arrivée afin de sensibiliser les autres déplacés à la cohésion sociale avec les résidents.
Dans les premiers jours qui ont suivi les atrocités de la crise de 1993, raconte-t-elle : « Je pensais que je ne pouvais plus retourner sur ma colline natale, je ne souhaitais plus revoir les bourreaux qui ont tué 72 personnes, des proches à moi. « Ma blessure est tellement profonde que je ne voyais pas que je pourrai un jour pardonner les auteurs de ces crimes » ; témoigne-t-elle. Et d’ajouter : « Mais au fur du temps, j’ai imploré le bon Dieu pour qu’il m’aide à essuyer mes larmes et qu’il me donne le courage de pardonner. Avec la prière, j’ai commencé à sentir le besoin d’aller revoir ma colline natale et de saluer ceux qui sont restés là-bas », précise-t-elle. Mme Ntunguka mentionne que quand elle a osé raconter son souhait d’aller visiter sa colline natale, ses voisins étaient tous étonnés et ne sont pas empêchés de la décourager avançant que quand elle va y retourner, qu’elle pourrait être tuée.
Les hommes surtout se sont levés contre elle en lui interdisant d’y aller. « Mais, comme je sentais déjà ce besoin, je me suis un jour réveillée très tôt pour aller sur ma colline natale », annonce-t-elle. Quand je suis arrivée là-bas, les résidents étaient surpris et étonnés de me voir. Mais, ils sont timidement venus vers moi pour me saluer. Je leur ai dit que je venais pour les saluer et voir comment je pourrais retravailler mes champs. Je ne peux pas vous dire comment ces résidents étaient fous de joie. Ils m’ont accueillie chaleureusement. Ils m’ont proposé de quoi boire et manger. J’ai accepté et la glace étant brisée, les relations ont commencé depuis ce jour », confie-t-elle.
De retour dans le site des déplacés, raconte un déplacé approché, elle a constaté que ses voisins avaient des nerfs tendus, tout le monde dans le site des déplacés croyait que les résidents l’avaient tuée. En la revoyant revenir, raconte un autre déplacé de ce site, c’est toute la communauté qui était étonnée.
Dans les jours qui ont suivi, Mme Ntunguka a demandé à certaines de ses voisines de l’accompagner pour aller défricher ses champs. Arrivées sur leur colline qu’elles n’avaient plus revue depuis des années, les résidents sont plutôt allés les épauler dans ces travaux. Le soir, ces déplacées ont laissé leurs houes chez les résidents. Au fur du temps, Mme Ntunguka a continué à faire la sensibilisation auprès des déplacés en leur demandant d’oublier ce qui s’était passé pour renouveller les relations sociales avec les résidents.
Elle a indiqué qu’avec cette de sensibilisation, les déplacés et les résidents ont renoué leurs relations. « J’appelle d’autres femmes victimes des guerres qui ont secoué notre pays, à prendre les devants pour oser briser certains tabous et mettre de côté certains souvenirs sombres du passé douloureux afin d’aller de l’avant et œuvrer pour la cohésion sociale ».
Les résidents et les déplacés de la commune Bugendana s’entraident
Diomède Nshimirimana, résident de la colline de Mwurire à Bugendana affirme que c’est Mme Gaudence Ntunguka qui a fait le premier pas en les approchant. La première fois que nous l’avons vue, c’était comme un ange venu nous rendre visite. Comme les années passaient sans revoir quelqu’un du site des déplacés revenir sur nos collines, nous avons compris que cette dame était courageuse, dévouée et pleine de volonté de nous revoir unis avec les déplacés. Nous nous sommes proposé de l’aider à retravailler ses champs. Quand la pluie tombait, elle venait s’abriter dans nos ménages pour qu’elle cesse », précise-t-il. M. Nshimirimana affirme que maintenant, les déplacés et les résidents se rendent visite et répondent aux invitations des uns et des autres quand il y a des différents événements.
Ce qui nous montre que nous avons renoué des relations sociales, c’est que les filles du site des déplacés et les jeunes hommes restés sur leurs collines font des mariages. « Leurs parents répondent positivement aux cérémonies de ces mariages », souligne-t-il. « Nous reconnaissons que c’est Mme Ntunguka qui a beaucoup contribué pour que cette cohésion sociale soit renouvelée entre les résidents et les déplacés », affirment plusieurs habitants de Bugendana approchés.
Goreth Nyandwi est aussi victime de la crise de 1993 et vit dans le site des déplacés de Bugendana. Elle affirme que c’est grâce à la sensibilisation et à l’encouragement de Mme Ntunguka qu’elle a osé regagner sa colline de résidence : « C’est cette femme qui nous a encouragé d’oublier ce qui s’était passé pour panser nos blessures. Elle a accompli un travail qui n’était pas facile, que même les hommes n’avaient pas pensé réaliser. Nous l’avons accompagné très timidement pour aller retravailler nos champs. Nous avons profité de cette occasion pour saluer les résidents ».
Selon Mme Goreth Nyandwi : « Les résidents nous ont accueillis chaleureusement, les relations sociales se sont poursuivies. Maintenant, nous pouvons même passer une nuit chez les résidents lorsque nous avons beaucoup à faire dans nos champs ». Mme Nyandwi affirme que c’est grâce à Mme Ntunguka que les déplacés et les résidents se rendent visite et répondent aux événements qu’ils organisent. Elle indique qu’elle est prête à regagner sa colline de résidence, mais elle n’a pas les moyens pour reconstruire toute seule sa maison. Elle demande à l’administration locale d’aider ceux qui veulent rentrer sur leurs collines natales en cherchant des financements afin de reconstruire des maisons d’habitation pour ces derniers.
La commune Bugendana reconnaît les efforts fournis par Mme Gaudence Ntunguka
Le secrétaire exécutif permanent de la commune Bugendana, Saoul Ntakarutimana précise qu’elle reconnaît les efforts que Mme Gaudence Ntunguka a fourni pour renouveller les relations sociales entre les déplacés des sites de Bugendana et les résidents « Nous saluons le dévouement et le courage de cette femme. Elle a pris les devants en osant pour la première fois fréquenter les résidents. Elle a contribué pour aider leurs paires à panser leurs blessures suite aux tuéries survenues pendant la crise de 1993 que la commune Bugendana a connue. Pour ce faire, les déplacés et les résidents entretiennent maintenant de bonnes relations », mentionne-t-il.
M. Ntakarutimana indique que pour renforcer les relations, la commune Bugendana facilite le retour des déplacés qui veulent regagner leurs collines de résidence. L’administration les aide à reconstruire leurs maisons d’habitation en collaboration avec les résidents dans leurs travaux de développement communautaire. Cette autorité appelle toute autre personne, surtout les femmes, à emboîter le pas à Mme Gaudence Ntunguka pour réussir la cohésion sociale entre les déplacés et les résidents.
Les femmes leaders, des piliers de la cohésion sociale
Léandre Simbananiye, psychologue clinicien et professeur des universités, fait savoir que le comportement des résidents envers les déplacés devrait être caractérisé par l’ouverture pour le dialogue avec des paroles apaisantes, des gestes de solidarité, de soutien morale et matériel.
Dans ce cas, les déplacés des sites de Bugendana peuvent panser leurs blessures et renouveler les liens sociaux avec les résidents, s’il y a un climat politique apaisant rassurant et qui se traduit dans le langage et le comportement des autorités à tous les niveaux.
Aussi, explique-t-il, des réunions qui rassemblent les déplacés et les résidents sont indispensables pour échanger sur ce qui leur était arrivé à cœur ouvert dans le but de renouveler leurs relations sociales mais aussi s’il est prévu un soutien psychologique individuel et collectif pour gérer les traumatismes subis. Il a également mentionné que l’administration locale a un rôle moteur à jouer pour faciliter la cohésion sociale. Elle doit être à l’écoute des déplacés et des résidents et propager une idéologie de la cohésion, de l’unité, de justice et de paix.
Quant à la contribution des femmes leaders dans la cohésion sociale, Mme Simbananiye a fait savoir qu’en leur qualité d’épouse et de mère, les femmes leaders sont les piliers de la vie familiale et de la communauté. Elles doivent être caractérisées par la recherche de la protection de la vie et de la cohésion sociale contre toute idéologie qui divise par des paroles ou des comportements sectaires. Pour y arriver, poursuit-t-il, les femmes leaders doivent oser prendre les devants dans les sensibilisations et en servant de modèle à suivre dans le but de réussir la cohésion sociale.
Article produit dans la cadre du projet, « Barundi, Tuyage ! », piloté par l’AFJO sur financement d’Impunity Watch.
Rose Mpekerimana