Le Burundi célèbre cette année le 31e anniversaire de la Charte de l’unité nationale votée le 5 février 1991. Nos interlocuteurs se sont exprimés notamment sur comment cette idéologie fut accueillie par les Burundais et donnent des suggestions pour renforcer l’Unité nationale afin que les Burundais restent un seul peuple, une même Nation.
« On a fait un progrès énorme et les gens cohabitent pacifiquement. Mais, il faut garder une mémoire vigilante car l’Unité nationale allait être le socle sur lequel nous devons bâtir le pays afin de rester un seul peuple, une même Nation », a souligné Adrien Sibomana, Vice-président de la Commission chargée de l’Unité nationale à l’époque.
L’unité dans la diversité
Aujourd’hui, les gens se parlent, font des projets ensemble. Tous les partis politiques sont soutenus en fonction de leur idéologie. « Je ne crois pas qu’il y ait quelqu’un qui se sent frustré pour son appartenance à telle ou telle ethnie, ce qui n’était pas le cas auparavant. Egalement, les hautes autorités du pays font très attention. Tout ce qui se passe dans le pays est construit sur base de l’unité et il ne peut en être autrement», a ajouté M.Sibomana.
Même avis pour Vénuste Muyabaga, président de l’Assistance et formation juridique du citoyen-Berintahe (AFJC), qui précise qu’actuellement, on parle de l’unité dans la diversité dans la mesure où les diverses parties prenantes de la vie sociale burundaise se retrouvent unies autour d’un seul pays, et l’idéal est que le Burundi doit être paisible. « Cela signifie que cette unité nous amène à comprendre que nous avons une chose commune qu’il faut jalousement défendre. Nous constatons que presque les différentes couches sociales voient de cette manière cette idéale.»
L’implication effective de la population s’est prouvée progressivement. Maintenant, « nous pouvons nous en féliciter parce que nous arrivons à un stade important, appréciable sur la question de l’Unité nationale », a-t-il ajouté.
Le Burundi est paisible quoi qu’il y ait quelques perturbations qui ne mettent pas en cause l’Unité nationale. « Nous devons jalousement garder cette unité et penser continuellement à l’améliorer pour le bien-être de notre génération future», a précisé Vénuste Muyabaga.
Les divisions, origine de l’idéologie de la Charte de l’Unité nationale
Pour M.Sibomana, l’idéologie de l’Unité nationale trouve son origine dans les divisions basées notamment sur les ethnies et les régions depuis l’indépendance qui ont caractérisé le Burundi. « On n’a pratiquement pas passé une décennie sans avoir des situations dramatiques. Les événements de Ntega et Marangara se sont passés en août 1988 ». A cette époque, Adrien Sibomana était gouverneur de la province de Muramvya. C’est ainsi que la direction politique de l’époque a décidé de débattre sur cette question et de trouver une solution durable.
Les gens étaient fatigués par le fait qu’aucune décennie ne s’écoulait sans qu’ils s’entretuent. C’est à partir de là que la question n’est plus devenue tabou et les gens ont dû délier les langues, ont parlé de la question jusqu’à ce qu’il y ait une sorte de consensus. Cela n’a pas été difficile car les gens en avaient une attente.
Adrien Sibomana a aussi précisé que le courant de la démocratie était un risque car c’est une autre idée qui venait comme un nouveau type de gouvernement. «Le grand risque était que les gens confondent parti politique et ethnie ou alors, qu’ils se servent des idées divisionnistes à des fins politiques. Malgré tout, les gens ont voté massivement pour la charte de l’Unité nationale. Ce qui montre qu’ils en avaient vraiment soif ». On est parti en démocratie avec des partis composés de tout le monde. Les gens ont voté en fonction de ce qu’ils voulaient, peut-être du changement (avec beaucoup de choses qui entrent en jeu), a-t-il poursuivi.
La crise de 1993 a permis de revisiter la Charte de l’Unité Nationale
Pour M.Sibomana, dans un pays qui a connu des événements pour lesquels les gens se sont entretués depuis le début de l’indépendance, n’eût été cette politique de l’Unité nationale, le pire aurait pu arriver et ce pays aurait pu disparaître de la carte du monde.
Vénuste Muyabaga a lui aussi indiqué que la crise de 1993 a mis en cause en quelque sorte l’Unité nationale. C’est un paradoxe parce qu’une année avant, les Burundais venaient de s’entendre sur la charte de l’Unité nationale. A cet effet, les divergences étaient grandes au niveau national et, « c’était une grande question qu’il fallait résoudre non pas pendant une année ou deux ans mais plutôt, cela devait être un processus pour que tout le monde s’imprègne, comprenne, vive au quotidien : l’unité ».
En se référant à ce qui a été fait pour arriver à cette charte, M.Muyabaga dit que les dirigeants de cette époque avaient tout fait. Mais, on l’a fait en peu de temps pour que la population burundaise puisse s’imprégner de cette valeur. « On ne peut pas douter de l’importance de l’Unité nationale suite à cette crise ; plutôt, il s’agit d’une crise qui est venue montrer qu’il fallait encore revisiter la Charte de l’Unité nationale avec les « Accords d’Arusha », la démocratisation des institutions, l’assainissement dans les secteurs de l’armée et de la police, de la justice, bref, de la vie nationale », a-t-il souligné.
La société civile burundaise doit toujours penser à la promotion de l’Unité nationale par des valeurs humaines, universelles tout en évitant des discriminations de tout genre. C’est une pierre qu’elle est appelée à apporter à l’édifice étant donné que le passé que nous avons connu ne doit pas être un fardeau pour la génération future mais, plutôt, de nous enseigner à vivre le présent, d’après M.Muyabaga.
Selon Salvator Kadende, journaliste en retraite, la fête de l’Unité nationale trouve son origine dans la Charte de l’Unité nationale massivement votée le 5 février 1991 par voie référendaire, il y a aujourd’hui 31 ans. «Après les événements sanglants de Ntega et Marangara en 1988, la Direction politique de l’époque a mis en place une commission nationale chargée d’étudier la question de l’Unité nationale et de publier un rapport y relatif. Ce qui fut fait.», a-t-il rappelé. Il a fait savoir que, parmi les recommandations contenues dans le rapport en question, figurent notamment la création d’une journée dédiée à l’Unité nationale et des symboles de l’unité comme l’hymne de l’Unité, le drapeau de l’unité et des monuments de l’unité. « Tout cela a été fait, mais les efforts fournis par la Direction politique de l’époque furent vains car en 1993, le Burundi entra dans une crise sociopolitique qui dura plus d’une décennie et qui mit à rude épreuve l’Unité nationale des Burundais», a déploré M. Kadende.
Selon cette source, de toutes les crises sociopolitique c’est-à-dire celle de 1965, celle de 1972 et celle de 1988, celle de 1993 a été la plus longue et la plus meurtrière. «Il a fallu l’avènement du parti CNDD-FDD au pouvoir à l’issue des élections démocratiques pluralistes de 2005, pour que le Burundi retrouve la paix, l’accord pour la paix et la réconciliation au Burundi signé à Arusha en Tanzanie n’ayant pas atteint son objectif.
Que dire de l’unité des Burundais aujourd’hui ?
« Il est heureux d’observer que de 2005 à ce jour, le Burundi n’a pas traversé de crises sociopolitiques comme celles citées ci-dessus. La paix et l’unité étant intimement liées comme les deux faces d’une même médaille. Tout laisse croire qu’une ère nouvelle va s’ouvrir dans notre pays», a indiqué M. Kadende. Il a salué le fait que la nouvelle Direction politique s’emploie activement à ce que le peuple burundais enterre à jamais la hache de guerre pour une politique de proximité réconciliatrice antonyme d’un passé amer qu’à connu le Burundi. Selon lui, les origines de ce passé amer sont à rechercher dans notre passé colonial, le mot d’ordre du colonisateur ayant été celui de diviser pour régner. « C’est ainsi que virent le jour les divisions inter-ethniques qui menèrent les Burundais aux violences tout aussi inter-ethniques et dont nous gardons toujours un amer souvenir», a-t-il dit.
Quant à ce qu’il entend par la politique de proximité, Salvator Kadende a indiqué que cette dernière consiste, pour la nouvelle Direction politique, à demeurer en contact permanent avec les citoyens de toutes les ethnies en se mettant constamment à leur écoute. «C’est ce qui autorise tous les espoirs. Avec l’année 2022, nous sommes entrés dans le soixantenaire de notre indépendance. Il s’agit, incontestablement d’une nouvelle ère de maturité politique pour le peuple burundais ne cherchant qu’un développement durable dans la paix, l’unité et la démocratie», a-t-il souligné.
La grande division de l’époque était basée sur l’ethnie et les régions
Pierre Claver Nahimana, président du Parti Sahwanya-Frodebu s’exprimant sur l’idéologie de l’unité nationale et son intérêt pour le peuple burundais, a indiqué que l’Etat du Burundi a commencé à parler officiellement de l’idéologie de l’Unité Nationale au lendemain des évènements de Ntega–Marangara qui avaient fait plusieurs morts en 1988. C’est à la suite de ce drame que la 3e République dirigée par le Major Pierre Buyoya a organisé des colloques rassemblant plusieurs cadres de l’administration burundaise pour discuter de la question de l’Unité nationale. Mais, compte tenu des drames qui avaient frappé antérieurement le pays comme le Génocide de 1972, les évènements de Ntega-Marangara n’ont fait que rappeler à la Nation burundaise que le pays était assis sur un véritable volcan en ébullition.
«Pour le pouvoir de l’époque, il s’agissait de faire oublier au Burundais tout ce qui s’était passé à Ntega-Marangara et antérieurement en 1972, pour adhérer à la politique d’Unité nationale prônée par le régime. Manifestement, la grande division de l’époque était basée sur l’ethnie et les régions. Il s’agissait donc de faire comprendre aux Hutu qu’il n’y’avait plus de problèmes avec les Tutsi et vice-versa, et aussi qu’il n’y avait plus de problèmes entre les régions burundaises. Il s’agissait aussi de faire comprendre que cette unité était symbolisé par un seul parti unique Uprona, Ubumwe bw’abadasigana», comme le disait l’hymne de l’Unité de l’époque», a-t-il dit.
L’unité, un concept vital pour chaque Nation
M. Nahimana a salué que la vision de l’Unité nationale a évolué au stade actuel. Il a mentionné que le pays continue actuellement à parler de l’Unité nationale et même célébrer la Journée de l’Unité nationale, parce que c’est un concept vital pour chaque Nation, lorsqu’il n’est pas manipulé à des fins propagandistes.
Répondant à la question de savoir comment les Burundais ont accueilli cette idéologie, le président du parti Sahwanya-Frodebu a indiqué que manifestement, le difficile exercice proposé à l’intelligentsia burundaise par le Major Buyoya après les évènements de Ntega-Marangara s’est heurté aux non-dits du passé dont ceux de 1972. «Le courant démocratique d’alors n’a pas réussi à soigner la profonde maladie de la Nation comme on va en constater les dégâts en 1993 avec l’assassinat du président élu Melchior Ndadaye et ses compagnons de lutte ainsi que les massacres et destructions diverses qui sont apparues dans le pays dans la foulée de cet assassinat. Cela signifie que le peuple burundais et les structures de l’Etat d’alors n’ont pas du tout intériorisé cette idéologie d’unité prêchée par la 3e République», a-t-il justifié.
Selon Pierre Claver Nahimana, il est très difficile de justifier des tueries à grande échelle telles que celles que le Burundi a connues dans son histoire, notamment celles survenues après l’assassinat du président Melchior Ndadaye et ses collaborateurs. Il dit qu’on peut seulement essayer de donner des explications pour comprendre ce genre de phénomène qui a souvent frappé le Burundi, et qui apparaît dans plusieurs autres pays du monde. Et de souligné que ces explications sont à chercher dans la haine raciale ou sociale souvent ancrée dans l’histoire des Nations, la manipulation des peuples ou des groupes de populations par les pouvoirs en place ou par des acteurs politiques influents pour des intérêts propres de quelques individus forts tenant du pouvoir ou des groupes particuliers, l’ignorance de la population, l’ignorance et le très faible niveau politique des leaders , pour ne citer que celles-là.
Il se réjouit que les débats engagés sur la situation socio-politique au Burundi à travers principalement les négociations de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi ont permis de délier les langues qui s’étaient complètement bloquées sur cette question dans les années antérieures. « Après plusieurs échanges musclés pendant plusieurs années entre les représentants des différents partis politiques du Burundi qui parlaient très sérieusement de cette problématique d’unité et de divisions de toute sorte, il a été possible de figurer dans l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi ainsi que dans la Constitution burundaise plusieurs dispositions permettant actuellement de diminuer sensiblement la nocivité des divisions socio-ethniques dans notre pays», a-t-il indiqué.
Ces dispositions qui sont devenues permanentes et exécutoires dans la gouvernance du pays permettent tant bien que mal de juguler le fléau, en attendant que les cœurs de la majorité de Burundais intériorisent et adoptent effectivement cette idéologie d’Unité nationale et les comportements y relatifs. Vu l’ampleur du problème, le pays devra mettre beaucoup plus d’efforts pour parvenir à maitriser la situation dans des délais raisonnables.
Agir sur les causes à la base des crises qu’a connues le Burundi
Pour renforcer l’Unité nationale et éviter que le Burundi ne retombe dans les crises de divisions sociales qu’il a connues antérieurement, M. Nahimana suggère d’agir sur les causes qui sont à la base des crises que le Burundi a connues et de mettre en place dans la législation burundaise des dispositions qui punissent et combattent très sévèrement toute haine ethnique et autres divisions apparentées.
Une autre solution qu’il a proposée est que les dispositifs électoraux ou de mise en place des leaders à tous les niveaux de gouvernance du pays soient bien étudiés analysés.
Il a ajouté qu’une formation et sensibilisation permanentes des leaders dans la gouvernance du pays dans les secteurs public et privé doivent être prévues car, selon lui, les grandes crises éclatent souvent au niveau du leadership et se répandent dans tout le pays. Il a également proposé qu’une formation et sensibilisation profondes et permanentes des populations soit de rigueur car, une population ignorante constitue une aubaine pour les manipulateurs mal intentionnés qui peuvent l’entrainer facilement à commettre l’irréparable, dit-il.
« L’Etat burundais doit donc rester vigilent et prendre les mesures qui s’imposent pour faire sentir à tous les Burundais qu’ils appartiennent à une même Nation. Il doit décourager des prêcheurs de la haine socio-ethnique et promouvoir la culture de la pratique de l’équité, le partage ainsi que la justice réconciliante pour tous», a-t-il conclu.
Yvette Irambona
Grâce-Divine Gahimbare