Depuis plus d’une décennie, les communes de Bugendana et Giheta, en province de Gitega, selon l’ancienne sudvivision administrative, vivent une véritable métamorphose. Là où régnaient, jadis, des paysages en friche et des pratiques agricoles de subsistance, se déploient aujourd’hui des infrastructures modernes, des champs irrigués, des serres et des élevages performants. A l’origine de cette transformation, la Sovert (Société de valorisation de l’espace et de transformation), un ambitieux projet agro-pastoral lancé en 2014 par Evariste Ndayishimiye qui deviendra en 2020, président de la république du Burundi. En créant de l’emploi, en favorisant la transmission de nouvelles techniques et en démocratisant l’accès à des denrées alimentaires de qualité, le projet participe à ancrer la résilience et l’espoir dans des communautés longtemps marquées par l’instabilité et l’exode rural.

Au départ, le projet de la Sovert a commencé par une petite ferme à Murayi en commune Giheta, c’était en 2014. Petit à petit, la culture des champignons a suivi et des coopératives sous l’encadrement de la Sovert. C’est ainsi que naîtra le plus grand complexe agropastoral de Bugendana parmi les sept que dispose actuellement la Sovert comme l’a constaté Le Renouveau du Burundi, au début de juillet 2025.
Dès l’arrivée sur le complexe agropastoral de Bitare, en commune Bugendana, l’impression est saisissante. Une discipline spatiale rare, une exploitation intensive, mais raisonnée de la terre, une main-d’œuvre locale engagée. « Ce projet vise à mettre en valeur les potentialités rurales du pays tout en créant de l’emploi durable. Il s’agit d’un modèle intégré de transformation communautaire, conçu pour produire localement, former les jeunes et stabiliser les revenus », explique un des responsables dudit complexe.
Damascène Nduwayo, responsable des différents projets de la Sovert indique que la société emploie aujourd’hui près de 1 500 personnes dont des agriculteurs, des techniciens, des manœuvres, des gardiens, des vétérinaires et des formateurs. Certains travaillent à temps plein, d’autres de manière saisonnière, en fonction du calendrier agricole. L’exploitation couvre 47 hectares à Bugendana, tandis que les élevages en commune Giheta participent également à la chaîne de production. Il est sans ignorer la culture des champignons qui est en train de révolutionner la vie des milliers de gens dans et en dehors des communes Giheta et Bugendana, grâce à l’encadrement dès le départ jusqu’à la mise sur le marché passant par la transformation.
La maîtrise de l’eau, clé d’un miracle agricole en saison sèche
En saison sèche, quand la plupart des exploitations paysannes se figent dans l’attente des pluies, la Sovert, elle, prospère. Grâce à un système ingénieux de récupération et de stockage des eaux pluviales, les collines de Bitare accueillent, en juin, des champs de pommes de terre luxuriants, du maïs en floraison, des cultures maraîchères sous serre. Emmanuel Nkurunziza, un ancien journalier devenu chef d’équipe sur le site, témoigne. « Je ne savais rien de l’irrigation. Grâce à mon travail ici, j’ai appris comment utiliser une motopompe, poser les tuyaux, et même calculer les quantités d’eau nécessaires. Maintenant, j’applique ces techniques sur mon champ familial à Giheta. »

Autre pilier du projet, c’est l’élevage de races bovines améliorées. Un centre naisseur a été mis en place pour assurer une reproduction de qualité. Les veaux issus de ce centre sont progressivement diffusés vers d’autres coopératives ou petits éleveurs de la région, accompagnés de formations pratiques. Jeannine Irakoze, éleveuse appuyée par la Sovert, explique avec fierté, «j’ai reçu une génisse du centre en 2022. Aujourd’hui, elle donne jusqu’à 15 litres de lait par jour. C’est une révolution pour ma famille. »
Des prix accessibles pour les produits de base
Un autre aspect clé du projet est l’impact direct sur les prix des denrées alimentaires. Comme l’indique Damascène Nduwayo, la Sovert ne se limite pas à produire ; elle entend permettre aux populations d’accéder à ces produits. Un exemple emblématique en est la farine de maïs « Isembe », très prisée au Burundi, pour ne citer que celle-là. Alors qu’elle coûte 4500 FBu sur les marchés locaux, elle est vendue à 2500 FBu au siège de la Sovert sise à Kibimba en commune Giheta. « C’est une manière de stabiliser le pouvoir d’achat des ménages et de lutter contre la spéculation alimentaire », précise-t-il.
Dieudonné Nzeyimana, responsable des notables collinaires de Bitare en commune Bugendana, confirme l’impact communautaire de la Sovert, « c’est un projet qui bénéficie à toute la population. Non seulement les semences sélectionnées sont disponibles sur place à des prix abordables, mais aussi les agriculteurs des environs reçoivent un encadrement technique continu. Aujourd’hui, même les jeunes s’intéressent à l’agriculture. »
Quant aux perspectives d’avenir, comme l’a indiqué Damascène Nduwayo, la Sovert compte se positionner comme un centre de rayonnement agropastoral. Elle se veut contrecarrer la hausse démesurée des prix des denrées alimentaires en implantant un centre de distribution de ces productions à des prix officiels, afin d’inciter les commerçants à rompre avec les spéculations. Et pour y arriver, la Sovert a plusieurs projets en cours et d’autres à exécuter, notamment la multiplication des semences des pommes de terres, afin de les rendre plus accessibles à tout le monde et ainsi arriver à garantir la sécurité alimentaire.

Au-delà des chiffres et des témoignages, le changement de mentalité qu’a suscité la Sovert dans les communes Bugendana et Giheta est peut-être son héritage le plus durable. D’un simple projet de production, elle est devenue une école à ciel ouvert, un laboratoire de développement rural qui attire visiteurs, partenaires, et chercheurs de solutions adaptées aux réalités africaines. L’initiative fait aujourd’hui, figure de modèle au Burundi, démontrant qu’un projet agro-pastoral structuré peut transformer un territoire et générer un impact profond sur la vie quotidienne des populations rurales.
Amédée Habimana