
Isabelle Penda Bikayi: "Malgré la participation des femmes, elles ne sont pas souvent signataires des accords de paix ni des communiqués finaux" (Photo Moïse Nkurunziza)
Les affrontements et les guerres répétitifs entre les groupes armés et les forces armées régulières menacent la paix et la stabilité dans la Région des grands-lacs. Les femmes et les enfants sont particulièrement affectés par ces conflits. Des efforts et approches pour la promotion de paix, la création des opportunités de médiation et le renforcement des mesures régionales pour la sécurité et la résolution de ces crises sont chaque fois engagés. Cependant, il est nécessaire de voir la place et le rôle qu’occupent les femmes dans les processus de la paix dans cette région. Malgré certains défis, différents interlocuteurs affirment que les femmes sont des actrices incontournables dans la recherche d’une paix inclusive et durable.
L’organisation des Nations unies affirme que la participation des femmes dans les processus de paix est, non seulement un droit, mais aussi une voie vers une paix durable. « Il a été approuvé que leur inclusion augmente les chances de succès d’un accord de paix et contribue à une paix durable ». Dans l’article publié en date du 12 décembre 2023, la Conférence internationale sur la région des Grands-Lacs (CIRGL) reconnait que «les femmes ont toujours été l’épine dorsale de leurs communautés, et que leur inclusion dans les processus de consolidation de la paix est essentielle au succès de toute initiative».
Isabelle Pendeza Bikayi, une femme médiatrice engagée pour la paix en République démocratique du Congo (RDC) et présidente du Collectif des associations féminines pour le développement (Cafed en sigle) reconnaît qu’il y a des avancées mais aussi des défis. « Les expériences des femmes déjà atteintes sont nombreuses. Jadis les femmes se considéraient comme des victimes en oubliant qu’elles ont un rôle majeur à jouer dans la résolution pacifique des conflits. Les femmes qui avaient du mal à participer au processus de paix ont aujourd’hui été invitées aux tables de dialogue à Nairobi avec les parties prenantes au conflit».
Elle converge avec Joselyne Kumwenayo, représentante légale de l’AFPDIC-Burundi (Association des femmes pour la paix et le développement intégré des communautés). « Je témoigne que les femmes ont joué un rôle important dans la transformation des sociétés de la Région des grands lacs malgré les défis occasionnés par les conflits cycliques. Je peux dire que les femmes jouent le rôle d’artisans de la paix ».

Même son de cloche de la part de l’Association pour la consolidation de la paix au Burundi (Acopa-Burundi), l’une des organisations représentantes de la région de l’Afrique Centrale au Groupe de travail de la société civile sur les Femmes, paix et sécurité au sein du Département des Affaires Politiques de l’Union Africaine. «Nous suivons de près le contexte sécuritaire qui règne au niveau de la région des grands lacs en général et le processus en cours pour la résolution de la crise à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) en particulier. Nous soutenons la décision du sommet extraordinaire conjoint EAC-SADC des chefs d’Etat et de Gouvernement tenu à Dar-Es Salaam le 8 février 2024 », indique Isaac Bakanibona, représentant légal d’Acopa.
Toutefois, il déplore le fait que les femmes ne sont pas suffisamment associées dans ce processus car aucune femme ne fait partie des trois médiateurs nommés alors que l’Afrique regorge pas mal de femmes médiatrices qui ont même occupé des hautes fonctions de responsabilité. « Nous rappelons que la crise touche différemment toutes les couches de la communauté et que les femmes et les enfants sont les plus vulnérables en cas de conflit, raison pour laquelle le rôle de la femme est incontournable dans les processus de paix et de sécurité afin de tenir en compte de leurs besoins spécifiques pendant la résolution des conflits et les opérations humanitaires ».
Les femmes sont impliquées dans le processus de paix
Mme Pendeza Bikayi et Mme Kumwenayo affirment que les femmes sont réunies dans différents réseaux de résolution pacifique des conflits dans la région comme la Cocafem/GL, le centre des femmes engagées pour la paix, le réseau des femmes médiatrices en Afrique, etc. « Leur contribution est beaucoup plus basée sur l’éducation à la paix, les plaidoyers, l’éducation des femmes et des filles, l’autonomisation économique des femmes par le commerce transfrontalière, etc.», affirme Mme Bikayi.
Quant à Mme Kumwenayo, dans la transformation des conflits de la sous région les femmes jouent un rôle non négligeable en contribuant à la paix et à la réconciliation à travers la médiation, le dialogue, l’éducation des membres de différentes communautés sur les droits humains, la tolérance et la non violence.
Promouvoir la transformation sociétale inclusive pour une région pacifiée
Nos interlocuteurs rappellent que les conflits et les guerres dans la région des Grands lacs ont des conséquences néfastes sur les femmes du fait que ces dernières en restent victimes. « Aux défis liés aux conflits, s’ajoute la vie difficile que ces femmes mènent dans les camps de réfugiés à côté de leurs enfants », précise Mme Kumwenayo.
Ces femmes expriment des préoccupations spécifiques afin de promouvoir la transformation sociétale inclusive pour une région pacifiée et un avenir meilleur. « L’inclusion des femmes dans le processus de négociation sont nécessaires d’abord pour la mise en place des accords de paix et la promotion de l’égalité des genre comme c’est mentionné dans l’agenda des femmes pour la paix », insiste Mme Kumwenayo. Elle converge avec Mme Bikayi de la RDC. « Il est très important d’impliquer les femmes dans le processus de paix car il n’y aura jamais la paix dans la région sans la participation effective des femmes, qui subissent les affres de la guerre et qui payent les lourds fardeaux de la guerre».
Des défis ne manquent pas
Pour Isaac Bakanibona, représentant légal de l’Acopa-Burundi, les défis sont multiples notamment ceux liés à la culture et aux préjugés qui font que les femmes soient reléguées au second rang lors des conflits armés et dans les crises politiques. « La non participation effective des femmes dans les instances de prise de décision est aussi un autre défis de taille pour l’exclusion des femmes dans les processus de management et résolution des conflits », pour sa part Pendeza Bikayi évoque également les défis financiers mais aussi la non coordination des actions.
Pour faire face à ces défis, M. Bakanibona appelle les leaders politiques et des leaders d’opinion au changement de mentalité en ce qui concerne le rôle des femmes et leurs besoins spécifiques en cas de conflit. « Il faut aussi veiller à leur implication en cas de processus de paix pour qu’elles n’en soient plus exclues comme il en a été récemment pour la désignation des médiateurs à la crise de la RDC ».
Moïse Nkurunziza