
Selon l’économiste Gilbert Niyongabo, ce changement de billets va également permettre à la BRB de superviser le volume d’argent qui circule (Photo Grâce-Divine Gahimbare)
La banque de la République du Burundi (BRB) a décidé le retrait de la circulation de billets de 10 000 FBu et 5 000 FBu datés du 4 juillet 2018 pour les remplacer par de nouveaux billets datés du 7 novembre 2022 endéans 10 jours à compter du 8 juin 2023. Est-ce que cette mesure est légale ? Quelles sont les raisons qui ont conduit à cette mesure et quelles seront ses retombées sur l’économie nationale. La BRB, la population ainsi qu’un économiste s’expriment à ce sujet dans des entretiens accordés aux journalistes des Publications de presse burundaise.
Le gouvernement laborieux et responsable du Burundi dirigé par le président de la République Evariste Ndayishimiye a dans son programme : « La vision Burundi pays émergent 2040, pays développé 2060 et chaque poche doit avoir de l’argent ». Ces objectifs ne peuvent pas être atteints tant qu’il s’observe une carence de billets de dix mille (10 000 FBu) et cinq mille (5 000) FBu. Selon le porte-parole de la BRB (Banque de la république du Burundi) Bellarmin Bacinoni des sommes colossales sont bloquées dans les coffres forts des particuliers pour plusieurs raisons. C’est notamment l’argent mal acquis, provenant du détournement des deniers publics, corruption, trafic illicite etc. D’autres conservent leur argent dans leurs chambres par ignorance. Bon nombre d’agriculteurs, éleveurs et petits commerçants de la campagne n’ont pas de comptes bancaires.
Selon la même source, c’est l’une des raisons de la recrudescence des attaques à main armée dans les ménages observée ces derniers jours, alors que sans la sécurité, point de développement.
Depuis le début de cette année, le chef de l’Etat burundais a lancé un appel à tous ceux qui conservent leur argent chez eux de le déposer à la banque de leur choix. Après avoir constaté que nombreux d’entre eux ont préféré faire la sourde oreille, une mise en garde très sévère a été lancée et cette problématique a été soumise à l’Assemblée nationale. C’est pour les raisons ci-haut citées que la Banque de la République du Burundi ( BRB) a décidé le retrait de la circulation de billets de 10 000 FBu et 5 000 FBu datés du 4 juillet 2018 pour les remplacer par de nouveaux billets datés du 7 novembre 2022 endéans 10 jours à compter du 8 juin 2023.
Contrôler le volume de monnaie qui circule dans le pays
La banque centrale, de chaque pays a les prérogatives qui lui ont été données par l’Etat de fabriquer la monnaie avec toutes les effigies nécessaires. Gilbert Niyongabo, professeur à l’Université du Burundi dans la faculté des sciences économiques et de gestion et directeur du centre de recherche Curdes (Centre universitaire de recherche pour le développement économique et social) a mentionné que la monnaie a beaucoup d’attributs. Elle a d’abord le cours légal, une obligation de faire les transactions. Le deuxième attribut mentionné par l’économiste est le fait que les gens, à force de faire les transactions dans la monnaie locale, font confiance à la monnaie locale par rapport à d’autres marchandises dans lesquelles on peut conserver la valeur. « La monnaie permet de faire les transactions faciles parce que toutes les marchandises sont exprimées dans une même monnaie au lieu d’être exprimées dans d’autres marchandises. Par exemple dans la tradition burundaise, on offre habituellement deux vaches pour la dot mais cela dépend du marché, de la race et de l’espèce. La vache est un symbole et elle a cette qualité d’être une marchandise de conservation des valeurs», a-t-il expliqué.
En effet qui dit confiance dit circulation de la monnaie. Ainsi, la banque centrale doit contrôler le volume de monnaie qui circule dans le pays quelle qu’en soit la forme. Gilbert Niyongabo a expliqué que la monnaie qui circule hors compte ou hors banque, constitue ce qu’on appelle circulation fiduciaire hors banque. « C’est une monnaie qui sert à faire des transactions entre plusieurs agents mais si cela se passe seulement entre agents, sans une institution financière, la banque centrale perd petit à petit le contrôle sur cette monnaie qui circule entre agent. La monnaie qu’elle contrôle c’est la monnaie qui circule de compte à compte», a-t-il souligné.
Par conséquent, la BRB peut ne pas estimer le volume de la monnaie qui circule hors banque, elle peut surestimer ou sous-estimer ce volume. Le fait de changer ces billets surtout les gros billets de 5 000 FBu et de 10 000 FBu, permet de pouvoir mettre la main sur le contrôle de cette monnaie qui circule en imprimant de nouveaux billets. « C’est une façon d’obliger tous les agents qui ont des anciens billets à les rapatrier aux niveaux des comptes ou au niveau des institutions financières. La Banque centrale peut reprendre le contrôle qu’elle a sur le volume de monnaie qui circule dans le pays. La banque centrale a le monopole de la politique monétaire» dit M. Niyongabo.
Contrôler l’inflation par rapport aux moyens de paiement
Deux avantages découlent de la décision du gouvernement du Burundi de changer les billets de 10 000 et de 5 000 selon le directeur du centre de recherche Curdes. Ce changement va permettre à tous les agents de réfléchir sur les moyens de conservation moderne. Il y a beaucoup d’agents qui étaient habitués à garder la monnaie dans leurs stocks alors que ce n’est plus moderne. L’économiste a rappelé qu’il y avait le problème de comptes qui ferment car, avec le « mobile money », il est facile de faire circuler son argent par téléphone. Le changement de billets va également permettre à la BRB de superviser le volume d’argent qui circule au niveau de tout le pays. Il a expliqué qu’une banque centrale qui ne contrôle pas sa monnaie peut créer une inflation dans le pays et faire monter les prix alors que si elle contrôle sa monnaie elle pourra aussi contrôler l’inflation par rapport aux moyens de paiement qui sont disponible, étant donné que l’inflation n’est pas seulement liée à la monnaie. Elle peut être liée au coût ou à d’autres produits importants.
Néanmoins, tout changement est comme les bornes d’une batterie, il y a le côté positif et le côté négatif. M. Niyongabo a souligné que ce changement sera perçu négativement par ceux qui étaient habitués à avoir un contrôle sur leur argent comme s’ils avaient de petites banques à la maison et faire des transactions chez eux. Il leur a suggérer d’être moderne et d’étendre le volume des transactions en allant dans plusieurs opérations. Le fait d’immobiliser de l’argent, ne permet pas au système financier d’avoir des fonds qui sont prêtables. « Si vous avez de l’argent que vous gardez dans votre coffre fort, il ne sert à rien. La monnaie doit circuler, servir le maximum de transactions possibles. Dans les entreprises, on devrait avoir une caisse qui est proche de zéro pour ne pas faire la spéculation et avoir une monnaie stable», a-t-il dit.
L’efficacité d’une politique monétaire discrétionnaire
Certaines gens se lamentent que « Le temps accordé pour avoir changé ces billets ainsi que le montant de retrait sont trop minimes, est-ce qu’il n’était pas possible d’alléger le coût dans sa mise en exécution ?». En effet, les files d’attente sont longues sur les guichets des banques et micro-finances qu’il y a ceux qui s’impatientent et reviennent plusieurs jours pour être servis. Selon Marc Niragira, le commerce a été perturbé du fait que le montant de retrait est trop limité pour des approvisionnements mais aussi du fait qu’il y a de grands commerçants qui font entrer plus de 10 000 000 FBu par jour. C’est ce qu’on appelle l’efficacité d’une politique monétaire discrétionnaire, il faut faire en sorte que les gens n’anticipent pas ce que vous allez faire, a expliqué l’économiste Gilbert Niyongabo. « Pour échanger l’argent qu’on a dans la poche trois à cinq jours suffisent. Il faut penser aussi aux gens qui sont dans les coins les plus reculés par rapport aux institutions financières. J’ai déjà fait le tour du pays, dans les communes les plus reculées du pays, il suffit de deux heures à trois heures de route pour se rendre au chef-lieu. C’est donc, le temps nécessaire pour les gens honnêtes d’aller échanger leur monnaie de transaction», a-t-il apprécié. Concernant le montant de retrait, il a indiqué que par exemple lors de la crise de dette en Grèce, le montant de retrait a été réduit à 20 euro par jour pour les individus. « Ce sont des mesures qu’on prend pour une courte période, pour éviter les spéculations et stabiliser la monnaie», a-t-il indiqué.
D’autre part, cette mesure a été bien accueillie car, après ce changement la BRB aura tout le contrôle donc, la monnaie burundaise va reprendre sa valeur petit à petit. C’est l’avis d’Egide Niyongabo habitant de la commune Ntahangwa. Il a également salué la mise en exécution de cette mesure et le fait que la BRB s’est montrée flexible en déployant ses agents dans les coins les plus reculés pour que tout le monde puisse changer les billets de 5 000 FBu et de 10 000 FBu. «Même les personnes qui n’ont pas de compte en banque ont été invitées à se faire enregistrer chez les agents de la BRB déployés au niveau de toutes les zones et les communes du pays pour changer ces billets », a-t-il dit.
Selon la BRB, la date du 18 juin 2023 est une date butoir quiconque n’aura pas obtempéré à cet appel n’aura qu’à assumer les retombées de sa négligence.
Josélyne Ndayegamiye
Jacqueline Niyonkuru
Grâce Divine Gahimbare