Ces derniers jours, la montée des eaux du lac Tanganyika a pris une allure inquiétante. Des plages, des infrastructures publiques et privées, des routes, des bars et restaurants sont envahis. Cette montée des eaux a également causé des inondations catastrophiques qui ont provoqué des déplacements massifs de la population, les abandons de domiciles, etc. Bien que le bilan des dégâts ne soit pas encore connu au niveau du ministère en charge de l’environnement, nos interlocuteurs affirment que les pertes sont énormes.
Jean Marie Sabushimike, professeur à l’Université du Burundi et expert environnementaliste a fait savoir que le facteur déclenchant de cette montée des eaux du lac Tanganyika sont des fortes pluies qui se sont abattues sur l’ensemble de la région y compris les pays limitrophes du Burundi. Il a cité essentiellement la Tanzanie, la Zambie sans oublier également l’influence des eaux qui proviennent du Nord Kivu, de l’Ouest du Rwanda via le lac Kivu. Les eaux de la rivière Rusizi, elles aussi font des dégâts terribles par ses crues qui s’abattent sur la zone de Gatumba et celle de Rukaramu.
Le manque de culture du risque
M. Sabushimike a précisé que la seconde cause la plus importante est l’aménagement du territoire qui ne planifie pas les zones d’ouverture urbaine en fonction des risques potentiels. Il a cité en d’autres termes, certains services publics qui autorisent ces ouvertures de zones urbaines dans des zones visiblement à très haut risque d’inondations notamment Kibenga, Avenue du large, et Kajaga. C’est extrêmement grave en termes de risque de catastrophes naturelles au Burundi. Il suffit d’observer des terres relativement sèches mais qui, dans le passé, étaient des terres qui se trouvaient sous l’eau. La troisième cause évoquée est le manque de culture du risque. Cela signifie qu’on s’installe dans des zones non constructibles si on n’envisage pas des moyens forts pour l’aménagement spécial de ces zones humides.
Notre interlocuteur a parlé aussi du non respect des lois et textes réglementaires au Burundi comme le Code de l’eau, le Code de l’environnement, le code foncier, le code de l’urbanisme, etc. Ce sont des Codes qui existent mais qui ne sont pas nécessairement bien appliquées. A côté de cela, notre interlocuteur a fait remarquer qu’il manque d’autres textes très importants notamment une loi pour la gestion des catastrophes, une loi pour l’application des plans de prévention des risques, une loi d’indemnisation, c’est-à-dire comment instaurer le système d’assurance qui limiterait d’ailleurs l’occupation des zones à très haut risque. Dans ce cas, on se trouverait face à un système de collaboration de l’assurance avec les pouvoirs publics, c’est-à-dire l’octroi des parcelles et le financement. La loi des assurances limiterait les aventures dans les zones à risque de catastrophes.
M. Sabushimike a fait savoir qu’une autre cause difficile à contrôler aujourd’hui est la pression démographique urbaine le long du littoral du lac Tanganyika au Burundi, du Nord jusqu’au Sud. La pression sur l’environnement est très forte d’où des dégradations environnementales se remarquent.
Une cartographie bien maîtrisée
Parmi les pistes de solutions, M. Sabushimike propose une cartographie bien maitrisée des zones à très haut risque d’inondations avec un système de zonage bien précis. C’est-à-dire indiquer les zones rouges fortement interdites ou déconseillées pour les constructions. Quant aux zones oranges, elles indiqueraient l’occupation du sol qui serait autorisé mais avec des moyens conséquents pour ne pas évoquer des déséquilibres environnementaux entre l’aménagement du territoire et l’environnement. Cette carte devrait montrer les zones d’ouverture urbaine pour un développement durable des constructions ou des aménagements. Cette cartographie devrait être précédée par un débat hautement scientifique dont les solutions proposées seront complémentaires. Tant que ce débat public n’aura pas lieu, cette cartographie risquerait même d’être compromise.
M. Sabushimike signale qu’une autre solution serait de proposer des ouvrages techniques qui pourraient d’abord protéger les infrastructures stratégiques comme les ports par exemple et chercher les zones où le système de digues proposés serait efficace. Tout cela après des échanges avec les différentes personnes qui se pencheraient sur le dossier technique.
Se munir des plans d’urgence
Pour la troisième chose à faire, M. Sabushimike a dit qu’il faut tenir compte du fait que le changement climatique est en marche et travailler avec des projections climatiques sûres comme l’Igebu a déjà tenté de le faire mais en vain. « Ça fait 3 ans successifs que l’Igebu avertit des risques de forte pluviométrie mais on ne voit rien dans la perspective », a-t-il dit.
L’autre chose est de se munir des plans d’urgence. Selon notre interlocuteur, ces derniers permettraient de bien coordonner les interventions en cas de catastrophes. Ces plans d’urgence évitent les imprévisions, limitent la panique et la peur. « C’est un plan enseigné, répété, réactualisé et cela nous limiterait d’improviser les interventions chaque fois qu’il y a une catastrophe», a-t-il souligné avant d’ajouter que le plan d’urgence est une des solutions urgentes à proposer. M. Sabushimike a conclu en disant que les surprises que nous réservent les changements climatiques restent très redoutables. Depuis 2018 jusqu’aujourd’hui on voit la même situation revenir. Les eaux peuvent se retirer aujourd’hui, mais demain, la situation peut être encore pire.
Les dégâts sont innombrables
Les sinistrés des inondations de Gatumba ne savent plus à quel saint se vouer après avoir perdu presque tous leurs biens. Certains de ces sinistrés vivent actuellement au site de Kajaga et indiquent qu’ils mènent une vie misérable. « Nous n’avons ni de latrines ni d’eau potable. Nous craignons d’être victimes des maladies des mains sales », se plaignent-ils avant d’ajouter qu’ils sont également menacés par le paludisme et ne trouvent pas de quoi mettre sous la dent.
Ibrahim Cimpaye, l’un des sinistrés précise que la zone de Gatumba a été touchée par les eaux de la rivière Rusizi et celles du lac Tanganyika. Les maisons ont été inondées et celles construites en matériaux non durables ont été détruites. Les élèves ne fréquentent non plus l’école ; il s’inquiète de leur avenir. Ces sinistrés demandent aux âmes charitables de leur venir en aide.
Liévin Nduwayo, caissier à la plage dénommée « Big one way » fait savoir que les dégâts sont innombrables car les eaux du lac Tanganyika ont envahi et continuent d’envahir la plage. Ils ont essayé de tout faire pour bloquer l’eau mais en vain. Il a signalé qu’ils travaillent actuellement à perte.
Décharger le volume actif du lac Tanganyika
Aimérance Nirera, porte-parole au ministère de l’Environnement, de l’agriculture et de l’élevage indique que, dans le but de prévenir ce phénomène de la montée des eaux du Lac Tanganyika, une équipe de techniciens s’est rendue en République démocratique du Congo pour voir si Rukuga peut aider à la décharge du volume actif du Lac Tanganyika. On attend donc le rapport officiel. Concernant la situation actuelle de la montée des eaux du lac, elle a fait remarquer que selon les techniciens, sur l’échelle, on lit la côte de 776,7m ce qui est une côte d’alerte pour les outrages situés au littoral.
Emelyne Iradukunda