Le Burundi célèbre, le 5 février 2024, le 33e anniversaire de la Charte de l’unité nationale, adoptée à 91% par voie référendaire en 1991. D’après nos interlocuteurs, un pas a été franchi mais, la Charte de l’unité nationale nécessite d’être revisitée.
« J’étais membre de la Commission nationale chargée d’étudier la question de la Charte de l’unité nationale à l’époque. J’ai suivi jusqu’à la fin comment cela a été fait », a souligné Sylvestre Ntibantunganya, ancien président de la République. Il regrette certains aspects qu’il a qualifiés de manquements qui ont caractérisé le processus de préparation du projet de la Charte de l’unité nationale notamment la non intégration des observations ou recommandations issues des colloques organisés au niveau national pour recueillir les points de vue de la population »,
A cela s’ajoute la non considération des positions d’autres forces politiques qui commençaient à ce moment à émerger ainsi qu’une frange d’intellectuels qui étaient à l’extérieur du pays qui n’ont pas été écoutés, a-t-il poursuivi.
Construire un Burundi paisible
M. Ntibantunganya trouve qu’avec la CVR (Commission vérité et réconciliation), il faudrait se pencher sur la question de la charte de l’unité nationale pour voir ce qui pourrait être redressé au niveau du contenu et pousser davantage pour que les Burundais s’expriment sur ce qu’ils ont vécu, ce dont ils ont souffert et sur comment ils entendent y faire face pour désormais construire un Burundi de paix basée sur une véritable unité nationale.
M. Ntibantunganya reconnait par ailleurs certains acquis de la Charte de l’unité nationale notamment la libération de parole. Avant, c’était difficile d’évoquer certaines réalités surtout ethniques. Pourtant, les crises qui se sont abattues sur le Burundi constituent une preuve que la démarche faite dans la mise en place de la Charte de l’unité nationale n’avait pas été suffisamment bien conçue et conduite pour mener à une véritable conversion des esprits. Cela est démontré au lendemain de l’adoption de cette charte où le président démocratiquement élu a été assassiné. « Si la charte avait converti les esprits notamment au niveau des dirigeants, le problème ne se serait pas posé. Au Burundi, il n’y a aucun problème avec les ethnies (Hutu, Tutsi et Twa), car tous vivent dans les mêmes conditions au niveau de leur quotidien. Mais le problème majeur provient des élites qui se disputent le pouvoir. Même aujourd’hui, les problèmes ne viennent pas des populations dans leurs collines ou quartiers, ils proviennent plutôt des états-majors politiques des institutions de l’Etat et des partis politiques », a-t-il ajouté.
L’ancien président de la République a également indiqué que la démocratie est quelque chose qui doit toujours être en perfection. On ne peut jamais dire qu’on a atteint la démocratie. Après la signature d’accord d’Arusha, par exemple, on devrait évaluer où nous en sommes avec la démocratie et pourquoi pas nous réajuster, si nécessité il y a. Il recommande aux Burundais d’accepter la vérité de ce qui s’est passé depuis la colonisation, regarder les faits tels qu’ils se sont passés sans penchant ethniques. D’après lui, que les Hutus n’aient pas peur de voir les faits dans l’histoire de ce pays dont les Tutsis ont été victimes et vice-versa.
Des tueries ont suivi après son adoption
Du côté de l’ONPG (Observatoire national pour la prévention et l’éradication du génocide, des crimes de guerre et des autres crimes contre l’humanité), le président de cet Observatoire, Jean de Dieu Mutabazi apprécie positivement la Charte de l’unité nationale car cette dernière a permis aux Burundais de s’engager à cohabiter pacifiquement comme des frères et sœurs d’une même Nation, et rompre avec les pratiques criminelles du passé, comme ce qui s’est passé en 1965 et 1972. Cette charte a eu de fruits notamment la Constitution de 1992 et les institutions issues des élections de 1993 tout en ouvrant le Burundi au multipartisme.
Toutefois, M. Mutabazi a souligné que les situations sombres qui ont endeuillé beaucoup de familles après les élections de 1993, témoignent le mensonge ou l’hypocrisie, le manque de conviction de la part de ceux qui dirigeaient à l’époque de l’adoption de la Charte de l’unité nationale.
« Le coup d’Etat d’octobre 1993, qui a renversé les institutions démocratiquement élues, et a plongé le Burundi dans une guerre civile qui a duré plus de 10 ans et emporté des milliers de vies humaines. Elle a causé la destruction de beaucoup d’immeubles et autres infrastructures. Ce qui laisse constater que le leadership politico-militaire composé de l’Uprona et du commandement militaire des années 1990 n’était pas convaincu de la Charte de l’unité nationale, et que par conséquent, ce leadership n’a pas respecté ses engagements en rapport avec la Charte de l’unité nationale et qu’il a péché par l’hypocrisie », a fait remarquer M. Mutabazi.
La Charte de l’unité nationale a des liens avec la démocratie
D’après Jean de Dieu Mutabazi, la Charte de l’unité nationale a des liens avec la démocratie. « Celui qui dit démocratie dit la liberté d’expression, le pluralisme d’idées, la tolérance dans la diversité tant religieuse, ethnique que politique ainsi que le partage du pouvoir. Celui qui dit démocratie dit également que c’est le peuple qui est détenteur du pouvoir, et qui l’exerce à travers les institutions élues notamment le président de la République, le parlement, les conseils communaux jusqu’au niveau le plus bas », a-t-il précisé.
Et d’ajouter que parmi les piliers de l’unité nationale figurent notamment la démocratie, la justice sociale, l’état de droit, le développement durable, la sécurité pour tous et surtout, la non exclusion et le respect du verdict des urnes. Aujourd’hui, a affirmé le responsable de l’OPNG en charge de la répression des crimes, la démocratie est en train de s’enraciner progressivement au Burundi.
Respecter ses valeurs
Et pour sauvegarder et consolider l’unité nationale, M. Mutabazi recommande le respect des valeurs prônées par la Charte de l’unité nationale et reprises par la Constitution de 2018. Pour lui, ceux qui ont violé la Constitution de 1992, ont aussi violé la Charte de l’unité nationale avec des conséquences désastreuses dont la guerre civile.
Ainsi, pour y parvenir, il faut d’abord respecter cette loi fondamentale burundaise d’autant plus qu’elle renferme les engagements pris par les Burundais, eux-mêmes et exprimés via leur vote par voie référendaire.
Il appelle, en effet, tout un chacun à tout mettre œuvre pour respecter le verdict des urnes surtout que le Burundi évolue vers la période des élections de 2025. « Si quelqu’un a l’une ou l’autre revendication politique, il faut qu’il le fasse en faisant recours aux mécanismes prévus par la loi et la Constitution au lieu de recourir à la violence », a-t-il renchéri.
La jeunesse salue le pas déjà franchi
Du côté de la jeunesse, Thierry Ingabire, président du Conseil national de la jeunesse, a indiqué que durant les différentes crises que le pays a traversées, la jeunesse a été manipulée pour l’implique dans la perturbation de la sécurité. A l’occasion de la célébration de la Charte de l’unité nationale, les jeunes doivent saluer le pas déjà franchi dans la consolidation de la paix et la sécurité.
Pour sauvegarder l’unité nationale, M.Ingabire invite les Burundais à être des patriotes. Le pays nous appartient, et s’il y a un désaccord, il faut privilégier la voie du dialogue. Aussi, il faut nous atteler au travail qui est la source du développement.
A l’approche des prochaines élections, le constat est que la jeunesse sert d’instrument aux hommes politiques. Pour cela, « au niveau du Conseil national de la jeunesse, nous invitons la jeunesse à changer de comportement car, c’est à nous de bâtir notre pays.En profitant des dividendes de la paix et la sécurité, nous devons nous atteler aux projets de développement ».
Durant cette période, le Conseil national de la jeunesse prévoit de faire des descentes sur tout le territoire national pour sensibiliser la jeunesse sur le rôle de la consolidation de la paix dans le développement du pays.
Les jeunes aussi doivent se faire élire dans des postes de prise de décision pour lutter pour leurs causes. Les formations politiques quant à elles, doivent sensibiliser leurs membres, surtout la jeunesse qu’il n’y a plus de place pour la guerre dans le pays. Elles doivent également privilégier le dialogue, qui est une voie de sortie de toute crise dans le pays, d’après Thierry Ingabire.
D’après Déogratias Nsanganiyumwami, président du CNUNR (Conseil national pour l’unité nationale et la réconciliation), 33 ans après l’adoption de la charte de l’Unité nationale, il y a eu d’abord des évènements à caractère politique où cette charte n’a pas été respectée comme tel, mais aussi une nette amélioration du respect mutuel et de la cohabitation pacifique sur le territoire burundais.
Les Burundais aspirent à la paix
Concernant les fruits tangibles de cette charte, M.Nsanganiyumwami a précisé qu’au niveau politique, l’Accord pour la paix et la réconciliation d’Arusha a pris en compte l’esprit et la lettre de la Charte dans son contenu. Les équilibres ethniques qui ont réduit sensiblement les tensions interethniques, sont inspirés de la charte. Aussi, le comportement politique officiel tient toujours compte de l’esprit de la Charte.
Selon lui, au niveau social, les Burundais aspirent tous à la paix, et dans le langage courant, il n’y a plus de tabous quant à faire référence à l’ethnie. C’est une grande sortie de la psychose sociale à caractère ethnique.
Le président du CNUNR a également indiqué que la démocratie a contribué énormément à la consolidation de l’Unité nationale. « Les graves violations de l’unité des Burundais ont eu lieu au cours des régimes militaires ou à cause des putschs militaires contre les dirigeants démocratiquement élus ».La stabilisation de la démocratie renforcée par une bonne gouvernance est, et restera toujours le socle de la paix, de l’unité et de la réconciliation au Burundi, a-t-il dit.
Stabiliser et renforcer la paix
Pour stabiliser l’unité nationale, Déogratias Nsanganiyumwami a fait savoir qu’il faut d’abord stabiliser et renforcer la paix sur tout le territoire burundais. « Il a été prouvé qu’en cas de crise politique, les cristallisations ethniques réapparaissent et, surtout que les plaies liées à la violation de cette paix pendant les crises répétitives qui ont secoué le Burundi, ne sont pas encore cicatrisées ».
Le rôle du Conseil national pour l’unité nationale et la réconciliation (CNUNR) est primordial dans la sensibilisation du peuple burundais dans le maintien de la paix et de l’unité.
Pour cela, le peuple burundais doit être conscientisé sur l’importance d’une cohabitation pacifique, et surtout sur le respect de la vie d’un être humain, d’éviter des langages ethniquement agressifs, avoir la conscience du rôle du bon voisinage etc., a-t-il conclu.
Claude Hakizimana
Yvette Irambona