L’utilisation des enfants vivant avec handicap dans la mendicité est une réalité en mairie de Bujumbura. Le Réseau des personnes vivant avec handicap dit être au courant de cette pratique. Rémy Ndereyimana, secrétaire exécutif de l’UPHB (Union des personnes handicapées du Burundi) affirme qu’il y a des on dit qui disent que l’enfant est loué à deux mille francs et que cet état de fait constitue une traite moderne des enfants qui mérite d’être jugulée. La Fenadeb (Fédération nationale des associations engagées dans le domaine de l’enfance au Burundi) avertit ceux qui font cette pratique qu’ils s’exposent à la rigueur de la loi.
Nous sommes mercredi 18 septembre 20224 au parking des bus allant vers les quartiers du nord de la mairie sis à l’ex-marché central de Bujumbura. Après une journée de travail accablant, chacun se précipite à regagner son domicile. Il est exactement 17h39, le mouvement des personnes devient intense. Les passagers attendent impatiemment et impuissamment l’arrivée des bus. Le ciel peu à peu change de couleur. Les ombres disparaissent laissant la place à l’obscurité. Soudain, deux hommes lançant une sorte de sifflement de la bouche, poussant deux enfants vivant avec handicap, débarquent. Ils viennent à partir de l’avenue de la mission. Arrivé au niveau des parkings en courant, l’un de ces enfants est déposé devant les passagers attendant les bus desservant les quartiers de Mutanga-Nord et Gihosha. L’autre est mis devant le fil d’attente de ceux qui attendent le bus empruntant l’axe Mirango-Rond-point. Après le dépôt de ces enfants vivant avec handicap, leurs « chauffeurs » disparaissent au milieu de la foule sans laisser même leurs chaises roulantes. Ces deux jeunes, commencent à trembler attirant ainsi l’attention des âmes charitables. Leur travail commence. L’utilisation et l’exploitation des personnes vivant avec handicap restent un phénomène couramment observé malgré différents appels des hautes autorités du pays. Lors de sa visite, en octobre 2021 au Centre Isange de Gisyo situé dans la zone Kanyosha en commune urbaine de Muha, la Première dame du Burundi, Angeline Ndayishimiye avait dénoncé l’utilisation des enfants vivant avec handicap dans la mendicité. « C’est très déplorable que certains parents, au lieu de travailler pour la survie de leurs familles, choisissent d’utiliser leurs enfants handicapés pour mendier dans toute la ville de Bujumbura », avait-t-elle laissé entendre.
Une sorte de traite des êtres humains nécessitant un apport collégial
Pour le secrétaire exécutif de l’UPHB (Union des personnes handicapées du Burundi), Rémy Ndereyimana, tous les enfants en général et ceux en situation d’handicap en particulier ont besoin d’une protection spéciale. « Nous observons une sorte de traite des enfants vivant avec handicap qui fait que ces enfants soient vendus dans la rue pour être une source de revenus pour la famille. Il y a même des on-dit selon lesquels l’enfant est loué à deux mille francs burundais [pour être utilisé dans la mendicité, NDLR]. Cet état de fait constitue une traite moderne des enfants qui mérite d’être jugulée », a expliqué M. Ndereyimana.
Il faut une impérieuse nécessité de travailler collégialement pour réussir le pari. « Il ne suffit pas uniquement d’empêcher cette pratique, il faut qu’il y ait des poursuites judiciaires pour que les crimes commises à l’endroit des enfants vivant avec handicap soient sévèrement punies ».
La loi est claire
Selon Rémy Ndereyimana, la législation burundaise est claire malgré quelques lacunes. La loi de janvier 2018 portant promotion et protection des droits des personnes vivant avec handicap définit des principes qui doivent gérer le domaine du handicap. C’est notamment la participation sociale, la protection, l’accès aux soins de santé, à l’éducation inclusive et à la communication, etc.
Se référant à l’article 40 de cette loi, Rémy Ndereyimana rappelle que « toute crime de droit commis à l’endroit des personnes vivant avec handicap doit être punis avec circonstance aggravante ». Un accent particulier est mis sur les crimes commis à l’encontre des enfants car ces crimes sont considérés comme une traite et la traite doit être punie.
L’article 22 de cette même loi, a renchérit M. Ndereyimana, stipule qu’il est du devoir de toute la communauté et de toute la famille d’interpeller l’Etat quand les droits des enfants vivant avec handicap sont en train d’être bafoués.
Toutefois, le manque des textes d’application de la loi portant promotion et protection des personnes vivant avec handicap demeure un défi majeur, comme l’a expliqué M. Ndereyimana. « La loi de janvier 2018 portant promotion et protection des droits des personnes vivant avec handicap doit avoir beaucoup de textes d’applications. Sinon, c’est comme une maison bien construite mais qui manque de porte ou d’escalier pour une maison en étage. Cette maison devient inhabitable».
Quelques pistes de solutions
Malgré les efforts fournis, les enfants vivant avec handicap au Burundi sont loin d’accéder à tous les droits notamment les sont élémentaires. Cela est confirmé par le secrétaire exécutif de l’UPHB, Rémy Ndereyimana. L’utilisation des enfants vivant avec handicap dans la mendicité ajoute le drame au drame.
Pour résoudre cette problématique, M. Ndereyima émet quelques voies de sortie. Il trouve qu’il faut une synergie et une coalition entre les associations de défense des droits de cette frange de la population, le ministère de la solidarité, la famille, etc. L’autre voie c’est la conscientisation de la communauté à comprendre l’ampleur de la problématique d’utilisation de ces enfants dans la mendicité.
Une servitude pénale allant jusqu’à dix ans
Au Burundi, l’exploitation de la mendicité est punie par la loi. Ferdinand Simbaruhije, chargé du plaidoyer et de la communication à la Fenadeb (Fédération nationale des associations engagées dans le domaine de l’enfance au Burundi), l’explique. Il évoque l’article 527 du Code pénal. Cet article stipule que l’exploitation de la mendicité est punie de 3 à 5 ans de servitude pénale et d’une amende de cent mille à cinq cent mille francs burundais ou d’une de ces peines seulement.
Et d’ajouter que l’exploitation de la mendicité est punie de 5 à 10 ans de servitude pénale et d’une amende de cent mille à cinq cent mille francs burundais lorsqu’elle est commise à l’égard d’un mineur. Cette punition est appliquée aussi lorsqu’elle est commise à l’égard d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur.
Cette peine est aussi appliquée si l’infraction est commise à l’égard d’une personne qui a été incitée à se livrer à la mendicité soit hors du territoire de la république du Burundi, soit à son arrivée sur le territoire de la République, soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de la personne qui mendie ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l’autorité que lui confère ses fonctions. Elle peut être appliquée avec l’emploi de la contrainte, de violences ou de manœuvres dolosives sur la personne se livrant à la mendicité, sur la famille ou sur la personne étant en relation habituelle avec elle. Cette punition peut aussi être appliquée à plusieurs personnes agissant en qualité d’auteurs ou complices, sans qu’elles ne constituent une bande organisée. « L’exploitation de la mendicité d’autrui est punie de service pénale de dix à quinze ans et d’une amende de cent mille a cinq cent mille francs burundais », a conclut M. Simbaruhije.
Moïse Nkurunziza