La Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) est une organisation régionale regroupant six États de l’Afrique orientale dont le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, le Soudan du Sud et la Tanzanie. Le processus d’adhésion de la République démocratique du Congo est avancé. Bien que ces pays membres de la CAE soient différemment dotés en ressources, ils contribuent le même montant au budget de fonctionnement de l’organisation. En effet, l’article 132 (4) du traité portant création de la Communauté de l’Afrique de l’Est dispose, entre autres, que le budget de la CAE est « financé par des contributions égales des États partenaires ». Par conséquent, en vertu de ce principe de l’égalité des contributions, chaque État partie doit payer une contribution annuelle d’environ 8 millions de dollars américains.
La formule actuelle des contributions est profondément inéquitable, ne reflète pas les pratiques courantes dans les autres organisations internationales et n’a pas de lien avec les capacités financières des pays. Tenez : en 2021, le produit intérieur brut (PIB) du Kenya, de la Tanzanie, de l’Ouganda, du Rwanda, du Burundi et du Soudan du Sud était de 106, 69, 43, 10, 3 et 2 milliards de dollars US respectivement. Comment, au vu de ces données, expliquer qu’un pays comme le Burundi continue de payer une contribution égale à celle du Kenya dont l’économie est de 35 fois plus large. La cotisation est également inéquitable pour le Burundi si on compare son budget annuel avec ceux des autres États de la CAE. À titre illustratif, le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda ont des budgets de plus de 10 milliards de dollars US chacun alors que le budget du Burundi est à peu près de $900 millions de dollars. Il ne faut pas non plus perdre de vue que le Kenya et la Tanzanie font parties des pays à revenu intermédiaire.
L’auteur de cette opinion est d’avis que le principe de l’égalité des contributions a besoin d’être remplacé par celui qui permet aux États de contribuer en fonction de leur capacité économique afin d’éviter que les pays à faible revenu continuent de supporter un lourd fardeau financier qui grève leur budget et les empêche d’investir convenablement dans des secteurs clefs.
Le problème
Le 7 juillet 2020, le Secrétariat de la CAE a publié une déclaration de clarification après la parution d’un article dans le journal The EastAfrican, édition du 4 au 10 juillet. Ce journal avait notamment rapporté l’adoption, par l’Assemblée de la CAE, d’une résolution demandant l’expulsion de la République du Burundi et de la République du Soudan du Sud pour non-paiement des cotisations annuelles s’élevant respectivement à 15 millions et 27,8 millions de dollars américains. Bien que le Secrétariat de la CAE ait protesté contre le reportage du journal en ce qui concerne la procédure menant aux sanctions éventuelles contre les deux pays en défaut de paiement, les montants dus ne sont manifestement pas contestés.
Depuis cette sortie médiatique, le Burundi a déployé des efforts en vue de s’acquitter de sa dette. Mais le risque de défaut de paiement n’est pas définitivement endigué. En effet, il sied de rappeler que la question des arriérés des contributions au budget communautaire n’est pas nouvelle mais constitue plutôt un problème récurrent pour le Burundi depuis 2016, année où certains partenaires au développement comme l’Union européenne, ont cessé de contribuer au budget du pays. Or, ces sanctions existent toujours malgré la reprise du dialogue entre les autorités burundaises et l’Union Européenne et malgré une amélioration notable dans le respect des droits de la personne telle que constatée dans le récent rapport de Human Right Watch sur l’état des droits de la personne dans le monde. Une révision à la baisse de la contribution du Burundi au budget de la CAE ne ferait que soulager le pays en plus d’assurer l’équité entre les membres de cette organisation.
Les formules de contribution dans les organisations internationales : la CAE en retard
La réalité est que la CAE est l’une des rares communautés d’intégration régionale, sinon la seule, à maintenir le système de contributions égales. Les organisations similaires, comme la Communauté de développement de l’Afrique australe (SAD) qui a aboli ce système depuis 2002. Depuis cette période, les pays membres paient en fonction de leur capacité économique. Ainsi, à elle seule, l’Afrique du Sud contribue à hauteur de 20% au budget de la SADC. De plus, l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) dispose d’une formule mixte qui tient compte du PIB et de la population de chaque État membre. Il en est de même, à quelques exceptions près, de l’Union africaine dont les 37 États à faible revenu ne paient que 15% de tout son budget opérationnel alors que le groupe des 5 (Égypte, Afrique du Sud, Maroc, Algérie et Nigéria) contribue près de 50%.
Certains arguments peuvent être avancés au soutien du maintien des contributions égales notamment le risque que les États qui paient plus se comportent de façon hégémonique à l’égard d’autres. Il y a aussi la peur que les postes de responsabilité soient inégalement distribués au détriment des ressortissants des pays qui contribuent le moins au budget de l’organisation. Cependant, l’appartenance à une organisation d’intégration économique n’est pas synonyme de la renonciation au principe de l’égalité souveraine entre les États. Ce n’est pas non plus une opportunité pour les États économiquement forts de priver les moins nantis du droit de bénéficier de la justice distributive selon la capacité financière de chacun. Après tout, nous n’avons pas entendu parler d’un traitement inégal à l’égard des États membres de la SADC qui paient moins que l’Afrique du Sud. De même, on n’a jamais entendu qu’il y aurait eu un traitement injuste des États membres de l’Union Africaine par le groupe des 5. Par contre, quand on y regarde de près, même avec le système actuel, il y a toujours une disparité d’emplois selon la nationalité au sein de la CAE.
Solution proposée
Il importe de rappeler que le Burundi, le Rwanda et le Soudan du Sud ont accédé au traité fondateur de la CAE plusieurs années après son adoption par le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie en 1999. Or, à l’époque de la signature de ce traité, il n’y avait pas un très grand écart entre les économies de ces trois pays, ce qui peut expliquer le recours au système des contributions égales au budget de la communauté. Les trois autres États qui se sont ajoutés à la CAE plus tard n’ont pas pu obtenir la modification du traité en lien avec le montant des contributions. Étant donné les difficultés de mobilisation des ressources pour le Burundi et le Soudan du Sud, il est clair maintenant qu’une telle modification s’impose.
Le meilleur moyen serait de trouver une nouvelle formule pour déterminer les cotisations des États membres en fonction de la richesse et du potentiel économique de chacun. Plus précisément, si le Burundi et le Soudan du Sud ne sont pas satisfaits du système actuel, il y aura lieu de proposer des amendements à l’article 132 (4) du traité fondateur de l’organisation afin que le principe de l’égalité de contribution soit remplacé par une nouvelle formule qui prend en compte leur PIB ainsi que leur poids démographique. De cette façon, les pays économiquement puissants comme le Kenya et la Tanzanie paieraient une cotisation un peu plus élevée suivis par l’Ouganda, le Rwanda et enfin le Burundi et le Soudan du Sud. Il y a aussi moyen de s’inspirer des formules utilisées par les organisations internationales à vocation économique comme la Banque mondiale, le FMI, l’Union européenne ou même l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Une solution idéale consisterait à adopter la formule utilisée par les pays de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CDEAO) dont le budget est financé, en grande partie, par des prélèvements communautaires (une taxe appliquée sur les marchandises importées dans la communauté en provenance des pays tiers). Bref, l’adoption d’un modèle des cotisations annuelles basé sur le traitement spécial et différencié assurerait la justice et l’équité aux pays moins avancés sans désavantager les États membres économiquement forts.
Conclusion
Ce texte avait pour objectif de suggérer une piste de solution susceptible de rendre moins pesant le fardeau financier des États membres à revenu faible comme le Burundi à travers notamment la modification de l’article 132 (4) du traité fondateur de la CAE. Le maintien du principe des contributions égales au sein de la CAE risque d’handicaper les efforts de développement des pays membres à faible revenu, ce qui, à long terme, ne sera pas bénéfique pour l’ensemble de la Communauté. Une solution équitable est nécessaire dans l’intérêt de l’ensemble des citoyens de la CAE. Une formule de contribution qui ne prend pas en compte la taille des économies pose des risques sérieux au processus d’intégration profonde désirée par les pays membres de la CAE. De même, être sensible aux difficultés des membres moins nantis fait partie des objectifs de toute organisation d’intégration économique. L’esprit de solidarité régionale, au cœur de ce genre d’organisations, devrait être fondé sur un système de contributions qui prend en considération la taille des économies c.à.d. en définitive, des ressources de chaque pays. La progressivité des contributions implicite dans la proposition avancée dans cette réflexion n’a rien de révolutionnaire : elle est le soubassement des systèmes de taxation à l’intérieur de chacun des pays membres de la CAE.
Cette opinion ne vise pas à inciter le Burundi à se retirer de la CAE. Il est seulement suggéré que tout en continuant à s’acquitter de ses contributions sur la base de la formule actuelle, le Burundi avance la cause d’une intégration durable des économies de l’Afrique de l’Est en faisant sienne la proposition de réviser le traité fondateur de la CAE afin de lier les contributions des États à la capacité de leurs économies.