Le sexagénaire Déo Hakizimana nous parle de sa vie, de son histoire, de son parcours académique, professionnel et politique. M. Hakizimana aura connu des moments difficiles, d’abord dans une innocence incomprise par les amis et les membres de sa famille, et par après, dans sa maturité, dans une confusion et un combat de différentes formes. Ce commissaire de la Commission vérité réconciliation aujourd’hui, a mené des actions en faveur de son pays et des communautés, mais il regrette les obstacles qui étaient souvent tendus devant lui, même jusqu’à l’heure actuelle.
Marié, père de six enfants, Déo Hakizimana, originaire de Kanegwa en commune Kiganda de la province de Muramvya a servi la communauté de sa localité et son pays natal. A l’âge de scolarisation, il a fait l’école primaire à Kiganda. Après l’école primaire, M. Hakizimana a pris le chemin vers l’Ecole moyenne de pédagogie de Rusengo en province de Ruyigi, pour poursuivre les études secondaires. Là, il est sorti avec son diplôme d’instituteur. Il a peut être senti une dette envers son pays qu’il avait instruit. Pour rembourser cette dette, il ne fallait pas impérativement la convertir en monnaie locale, encore moins en dollars américains. Il a plutôt, et c’est compréhensible, partagé ses connaissances avec les enfants de Kiganda qui fréquentaient l’Ecole primaire de Gacaca. Ce n’était pas une énorme dette, il l’a vite remboursée car, Déo Hakizimana poursuivra, plus tard, les études en diplomatie et en journalisme.
Enseignant et plus tard homme politique
Déo Hakizimana s’est occupé de plusieurs activités dans sa vie. Après son service à Gacaca, il deviendra plus tard journaliste au Le Renouveau. Il a pratiqué ce journalisme avant de quitter le pays en 1989. Pour une raison ou une autre, il n’était pas loin du parti unique qui était au pouvoir. Mais, les motifs d’intégrer ce parti n’étaient pas purement une volonté politique. « Mon parcours politique est atypique. Moi je considère que j’ai débuté avec la politique déjà à l’âge de 7 ans. », dit-il. En effet, se souvient-il, « A l’âge de 7 ans, j’ai vu le prince Louis Rwagasore mener la campagne électorale chez-nous à Kanerwa ma colline natale où il rencontrait ses militants. A ces occasions, j’ai réalisé que c’était un homme d’une qualité exceptionnelle. Quand j’ai appris qu’il a été assassiné, j’ai eu un choc, car, l’enfant que j’étais, je croyais qu’il était immortel. A ce moment-là, je n’ai pas connu la suite, il a fallu attendre plus tard pour l’apprendre à travers les discutions, les échanges avec les autres ». L’enfance de M. Hakizimana a, pour, lui été marquée par des déceptions. « Par après en 1965, j’ai vu venir les massacres à Muramvya, Bugarama, Busangana, c’est de tristes mémoires, là j’avais onze ans », raconte-t-il avec un air contracté. « Il y a la fumée qui montait, on la voyait dans le firmament et elle venait de la commune Bukeye. Le deuxième souvenir est l’arrestation du Député Emile Benyuje qui était pour moi un père spirituel. Il venait souvent chez nous, mon père vendait de la bière primus, beaucoup de clients se rencontraient là-bas pour se désaltérer. Ce député m’aidait beaucoup, sa mort a donc eu d’ impact incroyable sur ma vie » poursuit-il avec un ton de déception.
Et ses débuts politiques
M. Hakizimana dit qu’il rencontrait souvent des hautes personnalités politiques. Ce côtoiement devait le faire entrer dans la politique. Après Emile Benyuje , j’ai connu son neveu Charles Karorero, un des premiers diplômés de l’école militaire belge. Rentré en 1968, il a été emporté par les massacres de 1969, lui et ses amis. Sa disparition est restée chez nous un amer sentiment qu’il n’ y avait pas de chance pour les enfants de notre localité qui étaient à l’école. On y voyait une source d’ennuis. Par ailleurs, chez nous, on nous disait « Nta mashure y’aba Hutu » (l’éducation n’a pas été profitable pour les Hutu). « Je me souviens, des gens disaient à mon père de ne pas perdre du temps pour m’accompagner quand je suis allé à Rusengo. Mais, lui ne s’est par laissé prendre par des craintes aussi subtiles que réalistes. Il avait envie de me voir étudier et il m’a laissé partir » révèle-t-il. M. Hakizimana félicite son père, il remarque qu’une partie de sa personnalité est héritée de ce dernier. « J’ai hérité de lui trois choses : le goût du travail, le devoir de chercher et d’aimer la vérité et ensuite l’envie de refuser l’injustice. Ces qualités constituent un socle pour moi et celui m’a permis d’aborder les situations les plus complexes», dit-il avec satisfaction. Et de poursuivre avec ce qu’il a vécu en 1972, l’année du tremblement de terre que le Burundi a connu selon lui. A cette époque, il avait 18 ans, il allait avoir son diplôme d’instituteur et il devrait rentrer à la maison, traversant différentes provinces, dans une situation confuse, incertaine, en pleine période de tueries. « Je me souviens, le 3 juin quand je suis rentré dans une camionnette de l’école avec trois autres jeunes diplômés. Arrivé à Gitega, on nous a arrêtés, à la barrière au niveau du 3e bataillon commando, un soldat est monté dans la camionnette. Il nous a inspectés avec beaucoup d’attention, nous ne savions pas grand-chose. Mais, je me souviens quelques enseignants de mon école qui ont été arrêtés puis tués. Un parmi eux, le frère Pascal a été arrêté et puis tué. Mais, nous ne savions pas la dimension qu’avait pris ce que j’appelle catastrophe nationale.
Jeune diplômé, il enseigne dans des conditions difficiles
Avec son diplôme d’instituteur, Déo Hakizimana devait embrasser une autre vie. Trouver de l’emploi était un objectif premier. « Avec ma nouvelle vie de diplômé, il fallait réunir un certain nombre d’attestations, les déposer au ministère de l’Education pour solliciter un emploi. Je sais que mon entourage m’a vivement déconseillé d’aller solliciter du travail. Chaque fois que je leur demandais pourquoi ils ne le voulaient pas, des fois ils ne répondaient pas. Mais plus tard, quelques langues se déliaient, je me souviens de ce que disais ma grande sœur Véronique, de laisser tomber ces histoires et de rester à la maison, s’occuper de l’agriculture et me marier. On m’empêchait même de circuler jusqu’au bureau communal », raconte M. Hakizimana. Il a bravé tout ce qu’il y avait comme peur et est descendu à Bujumbura pour déposer le dossier. Plus tard, on l’a recruté pour enseigner à l’école primaire Rutegama de Gacaca. « Enseignant de Rutegama, j’aimais mes enfants et ils m’aimaient aussi. Un jour, des gens ont fabriqué une histoire en se basant sur des considérations que j’avais formulées sur le discours de Micombero le 28 novembre 1972 dans lequel il parlait de ce qui venait de se passer dans le pays « comme tremblement de terre ». J’avais compris qu’il venait de se passer un fait d’extrêmement grâve. Le rapport est allé à Muramvya, on m’a convoqué, on est venu diligenter des interrogatoires à mon école, les enfants ont vu que j’avais des problèmes. « Etonnamment, c’est bien cela qui m’a sauvé». En effet, précise-t-il, deux parmi ces enfants appartenaient à la famille de l’administrateur communal de Kiganda. « Je crois qu’ils sont rentrés, ils ont raconté ce qu’ils ont vu car, mon cas a duré plusieurs jours, les enfants ont vu que j’avais un problème psychologique et je ne pouvais plus entretenir le dynamisme de la classe. Ils se sont certainement plaints à la maison. D’après les témoignages, à un certain moment, ces enfants ont dit qu’ils n’avaient plus envie d’aller étudier à Gacaca tant que je ne pouvais pas les avoir dans ma classe. Par après, l’administrateur a pris le dossier en mains, il a rencontré les autorités provinciales, plus tard on m’a convoqué, elles m’ont dit : « Nous avons classé le dossier sans suite ». Ainsi, après avoir entendu l’acte d’accusation qui pesait sur lui, après avoir entendu ce qu’on a propagé sur lui sur base d’un montage, après avoir vu qu’il continuait quand-même à vivre ; il a fait une réflexion et s’est demandé « que faut-il faire pour pouvoir vivre dans ce pays ». Or, lui et son ami Louis Nakobedetse, avaient tenté de fuir vers le Rwanda mais en vain.
Sa réflexion, son adhésion au parti Uprona
Déo Hakizimana a réalisé que fuir vers le Rwanda comportait beaucoup de risques. Le contexte était délicat. Ainsi, révèle-t-il « J’ai réfléchi et j’ai vu qu’il faut adhérer à l’idéologie officielle du pouvoir, du parti unique, l’Uprona ». Il Indique qu’on l’a nommé rapidement comme responsable des pionniers à Kiganda, et puis membre influent de la JRR et par après, premier secrétaire de la section des fonctionnaires à Muramvya. Il se demande comment il ne pouvait pas avoir de promotion alors qu’il réalisait d’excellentes prestations avec de belles notations. Selon lui, la dimension ethnique entrait en jeu. Ainsi, déchiré par la situation sécuritaire douteuse, il a décidé de chercher, dans la discrétion totale, une mise en disponibilité pour convenance personnelle. « J’avais mené des contactes très précieux dans le domaine de la presse, dans le journal Le Renouveau. J’avais fait le contact avec le directeur fondateur, Côme Mikaza, que j’apprécie beaucoup pour ses talents, qui avait évolué dans les milieux intellectuels occidentaux et qui ne s’embarrassait pas avec les scrupules ethniques. Chez lui, ce qui comptait c’était la compétence. Il m’avait trouvé intéressant pour une seule raison : « il aimait la façon dont je lui transmettais les informations en rapport avec le parti Uprona ». M. Hakizimana avait toujours l’envie d’étudier. Plus tard, M. Mikaza l’a recruté et a rassuré Déo Hakizimana que son ambition sera atteinte. Journaliste reporter politique chargé des questions du parti, M. Hakizimana ne tardera pas à s’en voler pour effectuer des stages à l’étranger. Cela avant d’entrer dans l’école de journalisme malgré les obstacles immenses qu’il a courageusement surmontés avec l’intervention du ministre Ngenzi. Après un certain temps, ce musicien et écrivain, Déo Hakizimana, est allé travailler à Gitega comme journaliste de l’Agence burundaise de presse. Beaucoup d’initiative en rapport avec le théâtre, le développement de groupe de tambourinaires… sont à son actif. Sa pièce de théâtre « L’ironie du sort », une tragicomédie, sera jouée à l’Ecole normale des filles de Gitega en 1984-1985. Ses relations avec l’Eglise catholique qu’il représentait dans différentes rencontres à l’étranger et son ambition d’accompagner le programme de l’Eglise pour la limitation ou planification familiale l’ont coûté cher.
Déstabilisation et démission
Plus tard il sera déstabilisé socialement, économiquement et a été envoyé travailler à Bururi. Cela a provoqué une frustration et a démissionné. Cette démission n’était pas la solution à tous les problèmes car, il a par après été emprisonné. « Quand les événements de Ntega Marangara ont éclaté, j’avais l’expérience de la prison, j’étais le rescapé de 1972, j’ai vu que c’était le début d’un nouveau génocide. Alors, j’ai dit non, ça je n’accepte pas, d’où j’ai pris les premières armes, le premier rôle pour écrire la lettre ouverte. C’est cette lettre peut-être, qui m’a propulsé dans ce rôle d’aujourd’hui parce que c’est cette lettre qui a arrêté les massacres » dit-il. Plus tard, des débats publics sur la problématique des ethnies ont été organisés, il fallait aussi ouvrir les portes des institutions à la composante ethnique Hutu. Les occidentaux avaient quand même joué un rôle pour faire évoluer la situation.
En exil, il n’a pas croisé les bras
Devant des situations dans lesquelles il aurait vécu l’injustice, devant des situations d’instabilité et d’insécurité, il a dû fuir le pays le 22 août 1987 à peu près deux semaines avant la chute de la 2è république, vers le Zaïre, l’actuelle RDC. Le président d’alors, Mobutu Seseseko, a octroyé des passeports diplomatiques aux réfugiés. C’était le début de son combat politique et Mobutu avait promis le soutien une fois arrivés en Occident. M. Hakizimana s’est ainsi envolé vers la Belgique. Un mois après, il est revenu mais, ne tardera pas de refuir vers Genève en Suisse suite à ses protestations, à travers une lettre ouverte. En Suisse, il reprend son métier de journaliste au journal réputé appelé Journal de Genève. « Sur le plan politique, les Suisses m’ont intégré car, en 1996, j’ai été nommé par un arrêté du gouvernement en tant que représentant de la communauté africaine de Genève auprès d’une Fondation que le gouvernement a créée pour encadrer les étrangers à Genève. C’était un honneur pour moi et ça m’a aidé à avoir confiance en moi », dit M. Hakizimana. Déjà, en 1995, il avait démissionné dans la diplomatie à Bruxelles. C’est à Genève que le diplomate démissionnaire à créé le Centre indépendant de recherche et d’initiatives pour le dialogue (Cirid).
M. Hakizimana dit que le coup d’Etat de 1996 a été pour lui, l’une des dates les plus noires dans sa vie politique car, c’était une marche en arrière, le rappel des événements passés en 1988 et autres. Il dit que Pierre Buyoya venait de développer une atmosphère qui débouche à l’impunité institutionnelle. Il remarque avec regret l’existence des personnalités à peau d’Ange mais qui, à cause de l’institutionnalisation de l’impunité dans les responsabilités, a fait comprendre à certaines qu’elles peuvent continuer comme avant. « Croire que Déo Hakizimana par exemple, est un homme dangereux parce qu’il a dit non à l’oppression » regrette-t-il. Il dit avec déception qu’il existerait des gens qui ne sont pas heureux du rôle positif qu’il peut jouer. Ce commissaire à la CVR a écrit des livres et des pièces de théâtre. Il est l’auteur des livres « Le sort et le pouvoir au Burundi ; Burundi le non dit ; et La géopolitique de l’Afrique des grands lacs issu de son mémoire de 3ème cycle à Paris. Il a écrit trois pièces de théâtre : Bikata mu mbibe ; L’Ironie du sort et Abo kwa Gitambara.
Alfred Nimbona